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musicales, par lequel se signalait déjà la Fée aux Roses, cette nécessité de recourir sans cesse aux expédiens d’une instrumentation habile pour donner le change au public sur le défaut d’inspiration ; ces mille ruses du métier, qui passeraient pour des traits de génie, si tant de fois on ne les avait vues se produire, se retrouvent dans la Dame de Pique à un degré qu’il faut véritablement renoncer à décrire. Parler pour ne rien dire, a-t-on dit ; personne mieux que M. Halévy ne connaît et ne professe ce grand art en musique. J’ignore s’il existait avant lui, mais à coup sûr il l’aurait inventé. Transitions du mineur au majeur, modulations ascendantes pour figurer les paroxysmes de la colère, rhythmes excentriques sous prétexte de couleur locale, curiosités algébriques de toute espèce, c’est à ravir d’enthousiasme chromatique un harmoniste de quatrième année ! Et toutes ces conversations si délicatement filées entre le basson et le cor anglais, toutes ces interminables ritournelles de hautbois, tant prodiguées depuis la Juive jusqu’aux Mousquetaires de la Reine, avec quelle industrieuse persistance ne sont-elles pas ramenées ? Que de lieux communs et de redites qui passent à cause de l’encadrement et de la main-d’œuvre ! Puis tout cela, il faut en convenir, est bien en scène, musique et poème vont ensemble sans hésiter : chœurs militaires, duos, scènes de jeu, nulle part l’habileté ne fait défaut dans le dialogue, et cette musique, si rien de neuf, d’élevé et de pathétique ne la caractérise, ne surcharge du moins jamais les situations de la pièce. M. Halévy est véritablement un compositeur à grand spectacle ; personne mieux que lui ne sait animer un orchestre, préparer une entrée, mouvementer un finale. La partition de la Dame de Pique contient dans ce genre des prodiges de faire, et rappelle à mon sens beaucoup celle du Guittarrero du même auteur. Ne point distraire l’attention du public, tenue en éveil pendant quatre heures par les péripéties d’une pièce intéressante et variée, est à coup sûr le fait d’une musique pour le moins très modeste. Je me hâte toutefois d’ajouter que cette musique, tout en se contentant d’accompagner l’action, lui prête une force, une vie, une couleur que sans elle on n’y trouverait pas.

Otez de la Dame de Pique la partition de M. Halévy, et vous serez étonné de trouver tout à coup si vulgaire et si pauvre cette combinaison dramatique qui vous a si vivement impressionné tout à l’heure ; d’autre part, essayez de vous rendre compte de cette musique en dehors des conditions mêmes de la pièce et au seul point de vue du sentiment mélodieux qui peut l’avoir inspirée : voilà deux choses, poème et partition, qui séparément ne sauraient exister, et qui, réunies, et grace aussi à une exécution pleine d’ensemble, forment un spectacle d’un certain attrait. La parole n’a été donnée à l’homme que pour déguiser sa pensée, prétend un illustre aphorisme ; serait-ce qu’à l’Opéra-Comique la musique ne servirait qu’à prêter au poème une puissance dramatique qu’il est incapable d’avoir par lui-même, et que, de leur côté, les inventions plus ou moins ingénieuses du poème n’auraient d’autre but que de mettre la musique en état de se passer de tout ce qui constitue ailleurs ses élémens de vie ? À ce compte, la fécondité de M. Halévy s’explique. Autant de pièces à succès que lui fournira M. Scribe, autant de partitions il écrira, et je ne vois point ce que pourrait avoir à faire en pareille besogne l’inspiration musicale telle que certains esprits naïfs l’ont jadis comprise.

Les débuts de Mlle Caroline Duprez ont valu au Théâtre-Italien quelques