Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/573

Cette page a été validée par deux contributeurs.

se le figurer, puisqu’il ne s’est jamais ainsi avancé d’un pas sans reculer aussitôt de deux. Or ce n’est point de s’être avancé, c’est d’avoir toujours à propos reculé qui lui a concilié les adhésions dans lesquelles il puise maintenant sa force. Si la destitution du général Changarnier a soulevé tant de colères et tant d’alarmes, c’est qu’elle avait l’air d’exprimer le regret ou le ressentiment de ces retraites successives. Il se peut très bien, en effet, qu’on ait le bon sens de battre en retraite et qu’on n’ait pas la philosophie de ne s’en prendre à personne ; mais n’est-ce point là l’emportement regrettable d’une passion de circonstance plutôt que la froide combinaison d’un long calcul ? N’est-ce pas l’homme plutôt encore que le César qui n’a point voulu d’une épée à côté de lui, quand il n’en portait point lui-même ? Nous pouvons blâmer l’homme, nous ne craignons pas le César, parce que, quoi qu’on en dise, le temps n’est pas au césarisme, s’il faut seulement prendre la peine d’élever César sur le pavois.

C’est là notre première raison de ne pas croire à l’avènement triomphal du césarisme ; c’est qu’il n’y a point d’enthousiasme disponible pour faire tout l’émoi inséparable du triomphe. La raison nous parait d’autant plus probante, qu’elle découle de cette inertie trop visible dont on sent le poids sur toutes les parties de la société. Cette inertie qui l’affaisse à la tâche ne lui laisse pas du moins beaucoup plus de cœur pour le mal qu’elle n’en a pour le bien. Il est cependant contre l’empire une raison plus honorable que celle-là, et nous ne demandons pas mieux que de la redire aujourd’hui : c’est que l’empire n’a laissé de popularité souveraine et absolue qu’à titre de fétiche, c’est qu’en dehors du fétichisme il a provoqué dans toutes les ames raisonnables des anxiétés et des ressentimens dont elles n’ont point perdu la mémoire. Or, on ne gouvernera plus en France, on n’y règnera même plus par le fétichisme ; si seulement on essayait de lui emprunter des oripeaux, on évoquerait d’abord un immense ridicule qui couvrirait les souvenirs de gloire, pour ne laisser percer que les souvenirs d’humiliation et de deuil. Ces oripeaux, en cette saison où ils sont passés de mode, ne signifieraient plus rien qu’une amère et grotesque ironie. Ils n’auraient plus la vertu de dire, même à la foule, les grands noms d’Austerlitz et de Marengo ; ils rappelleraient uniquement les violations de la liberté personnelle, la tribune muette, la presse étouffée, la France esclave, et non pas amoureuse d’un maître. Je défie bien qu’on fasse l’empire sans oripeaux ; mais je défie, quoi qu’on en dise encore, qu’il y ait quelqu’un pour vouloir de l’empire avec les oripeaux dans le marché.

Soit, répondra-t-on, nous n’aurons pas l’empire, nous aurons la chose sans le nom, nous aurons la dictature clandestine du pouvoir exécutif ! Le pouvoir parlementaire, sourdement comprimé, ne gardera plus ni d’action efficace, ni de ressort vital ! donc il meurt, s’il ne s’agite. — S’agiter ne prouve pas qu’on soit fort, et ce n’est pas le moyen de retrouver sa force que de tant crier qu’on va mourir. Il n’y a pas de pouvoir au monde sur lequel on empiétât, s’il ne se disloquait lui-même. Le pire symptôme qui soit pour une institution, c’est d’être si préoccupée de se défendre. L’homme devant qui l’on niait le mouvement ne se mit pas en grands frais de démonstration pour rétorquer l’argument : il marcha ; c’était plus concluant que la plus belle thèse soutenue là-dessus par un paralytique. Nous désirons de tout notre cœur que l’assemblée nationale en fasse autant.