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ainsi dire Paris à la portée de toutes les bourses, il est bon, chaque fois que l’occasion s’en présente, de prémunir les esprits contre des séductions dont on n’a que trop exalté l’attrait et de montrer toutes les épaves que laisse l’ambition sur cette plage inhospitalière, où les chercheurs d’or, comme ceux du Nouveau-Monde, ont souvent bien du mal à trouver du pain.

Ainsi que toutes les grandes villes, Paris, sous le rapport des mœurs, des habitudes, des idées, des sentimens même, est une ville tout exceptionnelle ; mais dans aucune autre contrée de l’Europe l’exception n’est poussée aussi loin, et l’on peut même dire, quoique l’opinion contraire soit généralement adoptée, que la différence qui existe de Paris aux provinces existe des villes aux campagnes, d’une ville à l’autre, d’un département au département voisin, Essayons, par exemple, de dresser, pour les plus importantes de nos anciennes circonscriptions territoriales, une rapide statistique des aptitudes, des caractères, de l’intelligence des populations. En commençant par la région de l’extrême nord, nous trouvons en Flandre deux races distinctes, l’une d’origine germanique, l’autre d’origine gallo-romaine, parlant deux langues, le flamand et le français, races flegmatiques, également aptes toutes deux au négoce, aux travaux de l’agriculture, à la vie militaire, obstinées et prudentes dans toutes les entreprises, profondément attachées au sol, à la cité, à la famille, mais positives, sans idéal, sans poésie, mangeant beaucoup et buvant de même. Dans l’Artois, le caractère est plus ouvert, mais l’initiative est moins grande, et les habitans, laborieux, catholiques zélés, jaloux de leurs droits politiques comme autrefois des privilèges de leurs états, fermes comme les Flamands, n’ont déjà plus au même degré le génie de l’industrie et de l’agriculture. En Picardie, la nuance change de nouveau ; dans cette contrée, où la féodalité et l’esprit municipal avaient jeté simultanément au moyen-âge de si profondes racines, les diverses classes de la société sont encore séparées par des distinctions très sensibles, et l’on y trouve ce que l’on appelle la noblesse, la bonne bourgeoisie, les petits bourgeois et les petites gens. Positifs, vivant entre eux sans liaisons intimes, comme aussi sans inimitiés, attachés aux vieilles habitudes et aux vieilles idées, beaucoup moins zélés dans leur foi que les Artésiens et même assez indifférens en religion, soldats braves, mais froids, amis de l’ordre dans la politique comme dans la vie privée, les Picards représentent au milieu des provinces qui les entourent une espèce de colonie de la fin du XVIIe siècle ; comme leurs voisins les Flamands et les Artésiens, ils se distinguent par le bon sens, dans l’acception la plus vulgaire du mot, bien plus que par l’esprit ou l’imagination, et, comme eux, ils ont l’accès rude et une certaine raideur, qui n’est point sans analogie avec la raideur anglaise.

L’Ile-de-France, l’Orléanais, la Touraine, la Champagne, le Maine, qui sont au pays tout entier ce que le vieux Latium était à l’Italie, représentent, au contraire, le véritable esprit français, et ces provinces en reflètent les nuances les plus diverses dans les personnages éminens qu’elles ont produits, tels que Rabelais, Gerson, La Fontaine, Mignard, Colbert, Turenne, Diderot, Mabillon et Jeanne d’Arc, comme elles reflètent aussi la civilisation la plus avancée de nos départemens dans son côté poli, sensuel, insouciant et égoïste. En Normandie, c’est une tout autre race, pleine de sève, active, âpre au gain, conquérante, comme le dit avec raison M. Chéruel, dans les temps où l’on ne gagnait que par l’épée,