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autres, afin de ne point laisser aux seigneurs une influence trop grande, firent bâtir beaucoup de petites villes ; « la plupart de ces lieux, dit l’abbé Lebœuf, prirent le nom de Villeneuve-le-Roi, qui est ainsi devenu bien commun dans la géographie de la France. » Au XIIIe et au XIVe siècle, les seigneurs laïques et ecclésiastiques, ainsi que les officiers royaux, fondèrent, principalement dans le midi, sous le nom de bastides, des cités nouvelles qu’ils administrèrent en commun, et dont ils partagèrent les revenus ; mais ce mouvement s’arrêta bientôt, et depuis 1450 environ jusqu’à la révolution française c’est à peine si l’on peut mentionner la création de trois ou quatre villes vraiment notables. Dans les temps modernes, ce n’est plus, comme au moyen-âge, l’esprit local qui crée de nouveaux centres de population : c’est le pouvoir suprême ou l’esprit administratif. Ainsi Bourbon-Vendée et Pontivy furent improvisés par Napoléon pour combattre et surveiller la chouannerie ; ainsi encore, les gouvernemens qui se sont succédé depuis Louis XIV n’ont jamais cessé d’accroître l’importance de Lorient ou de Rochefort, comme ports de guerre, et il est à remarquer que du moment où le pouvoir central fut constitué, la plupart des grands centres de la province ne firent que décliner quant au nombre des habitans, et cela dans une proportion telle que certaines localités, Troyes, Provins, Orléans, Amiens, entre autres, ont à peine aujourd’hui la moitié de leur population du moyen-âge.

On voit à combien d’aperçus et de déductions peut donner lieu une histoire de la France étudiée ainsi dans le détail et au point de vue particulier de la localité. Une foule de questions importantes, telles que l’établissement du christianisme, le mouvement communal, les luttes des grands vassaux contre la couronne, ressortent pour ainsi dire synthétiquement de l’ensemble d’un livre fait à ce point de vue, et il suffirait de simples extraits chronologiquement coordonnés pour avoir, sur chacun de ces points capitaux, des monographies fort détaillées. Si nous descendons maintenant du général au particulier, si nous examinons les notices qui, dans l’Histoire des Villes, se rattachent à chaque localité, nous devrons reconnaître que ces monographies, rédigées d’après un plan sévère et strictement renfermées dans un cadre local, se recommandent généralement par l’exactitude, la vérité, et souvent aussi la nouveauté des détails. Un tel ensemble de travaux historiques exigeait le concours de toutes les opinions, de toutes les spécialités, et, chose remarquable, en abordant l’étude calme et sévère du passé, en se trouvant au milieu de ces ruines, de ces tombeaux sur lesquels plane l’immuable vérité de l’histoire, les partis ont pour ainsi dire abdiqué leurs exagérations. C’est là une preuve nouvelle de la salutaire influence des études historiques, études dont l’importance grandit tous les jours en raison directe du développement même de la vie politique, et qui sont, nous le pensons, le plus utile correctif des maladies morales de notre temps. Il est difficile, en effet, qu’on se laisse prendre aux utopies mensongères quand on a suivi depuis le prologue le triste drame que l’humanité joue sur cette terre, et on est moins dupe des illusions de la scène quand on retrouve sur le même théâtre, à la distance de plusieurs siècles, les mêmes péripéties et les mêmes comparses. Là où l’ignorance croit rencontrer des nouveautés téméraires l’histoire reconnaît de vieilles folies depuis long-temps oubliées dans de vieux livres ; elle sait ce que cachent les caresses de Tibère et les promesses de Catilina. Quand Fourier présente le phalanstère comme une oasis de l’âge d’or, elle