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président disait : « Soldats ! de triomphe en triomphe, vous êtes arrivés jusqu’aux bords de la rivière d’Ocoa. Vous occupiez dans cet endroit une position dont les avantages me permettaient de vous conduire encore plus loin ; mais je n’ai pas cru devoir abuser de votre courage… Arrivés dans vos foyers, vous aurez beaucoup à dire à ceux qui ne se sont pas trouvés sur ces champs de bataille qui ont rappelé les gloires de nos ancêtres… Soldats, je suis content de vous ! » Dans l’autre proclamation, adressée au peuple et à l’armée, Soulouque, après avoir énuméré ses triomphes, ajoutait : « Mais, toutes favorables que soient ces circonstances, la sagesse me recommande de rentrer dans la capitale… Le gouvernement veut encore laisser à ses fils égarés le temps de la réflexion et du repentir. » On se le tint pour dit : les guirlandes de palmes et de feuillages, un instant mises au rebut, décorèrent le lendemain les maisons sur le passage du magnanime « vainqueur de l’est, » qui rentra dans la ville au bruit des salves prolongées de l’artillerie, et compléta cette intrépide gasconnade en faisant chanter un Te Deum pour ses succès. On s’attendait à des arrestations et à des exécutions. Dans l’intervalle, les parens et les amis des suspects étaient fort embarrassés de leur contenance, craignant à la fois, s’ils se montraient tristes, de paraître insulter à la joie officielle, et, s’ils affectaient la joie, de paraître insulter aux douleurs de la réalité. Soulouque ne négligeait d’ailleurs rien de son côté pour donner le diapason à l’opinion publique. Chaque réception était marquée au palais par des scènes comme celle-ci, dont je ne puis reproduire que, le sens, vu l’impossibilité de faire passer sur le papier les enjolivemens de la rhétorique et de la mimique créoles.

Après avoir témoigné son mécontentement des bruits ridicules qu’on avait fait courir sur la prétendue intervention d’une escadre française, Soulouque répétait aux notabilités civiles et militaires qui l’écoutaient avec une avide attention, tremblant de mal saisir un seul détail de la version présidentielle ; Soulouque répétait, disons-nous, qu’il n’avait nullement entendu s’engager dans une expédition définitive. L’occasion, l’herbe tendre et les triomphes surprenans qui marquaient chacun de ses pas sur le territoire dominicain l’avaient seuls conduit, et à son corps défendant, jusqu’aux portes de Santo-Domingo ; mais les rebelles de l’est se trouvant plongés dans la plus épouvantable misère depuis qu’ils avaient renoncé aux bienfaits de l’unité nationale, ses propres soldats n’avaient plus, depuis plusieurs jours, pour subsister qu’un épis de maïs à partager entre quatre hommes, ce qui l’avait décidé à ajourner une conquête déjà accomplie en fait. « Et qui croira, s’écriait le président, que cette glorieuse expédition n’a coûté à l’armée haïtienne qu’une cinquantaine de morts !

UN INTERRUPTEUR : Quarante-huit, président !