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Après le premier moment de stupeur, on s’occupa de chercher une cause à une déroute que réellement il n’était pas possible de prévoir. L’attribuer à l’imprévoyance du président, c’était jouer sa tête, et les bourgeois, se souvenant à propos que la France leur avait servi pendant quarante ans de plastron dans toutes les circonstances où ils avaient eu à redouter quelque éclaboussure de la fureur du parti ultra-noir, les bourgeois se hâtèrent de mettre cette déroute sur notre compte. Bien que le consul-général de France n’eût rien épargné depuis un an pour détourner Soulouque de ses velléités conquérantes[1], ils découvrirent tout à coup que les conseils, les prières, les obsessions de M. Raybaud avaient seuls poussé le président dans une entreprise pour laquelle il n’était pas encore préparé. Le perfide M. Raybaud savait d’avance qu’il l’envoyait dans un coupe-gorge, car la prétendue flottille dominicaine, ce n’était ni plus ni moins que deux bâtimens, puis sept, ensuite quatorze, enfin dix-neuf bâtimens de guerre français. Messieurs les mulâtres, qui, à cinq ou six exceptions près, se croyaient obligés de crier plus fort que les autres, avaient découvert ce chiffre de dix-neuf bâtimens dont deux surtout, la Naïade et le Tonnerre (absens de ces mers depuis plusieurs années), avaient puissamment contribué, d’après eux, au succès du guet-apens. Les mulâtres découvrirent aussi que M. Raybaud, la veille encore leur idole, avait joint à ses méfaits celui d’expédier à l’ennemi le plan de campagne de Soulouque, qui le lui avait apparemment confié. Les autorités noires finirent par prendre au mot ce roman, où la peur ; hélas ! tenait la plume. Nos nationaux étaient déjà l’objet de menaces ; le consul lui-même recevait toute sorte d’avis officieux dans l’intérêt de sa propre sûreté. La ville était parcourue en tout sens par des ordonnances à cheval, et on armait enfin les forts pour couler bas notre corvette stationnaire, mouillée à une grande distance du rivage, mais qu’on supposait faire de son côté des préparatifs pour bombarder la ville.

M. Raybaud, dont les nerfs, sont passablement aguerris, semblait s’émouvoir fort peu de tout ce tapage. Il avait cependant déjà pris quelques mesures, propres à rassurer nos nationaux, lorsque deux proclamations[2] vinrent brusquement remettre à l’ordre du jour l’enthousiasme et la joie, et redoubler, en lui donnant un autre cours, l’inquiétude des malheureux bourgeois, qui, pour avoir trop voulu manifester leur gallophobie de circonstance, s’étaient faits les hérauts d’une défaite désormais désavouée. Dans l’une de ces proclamations, le

  1. Notre, consul mettait d’autant plus d’insistance à l’en détourner, que notre gouvernement venait de reconnaître la république dominicaine et de conclure avec elle un traité. L’assemblée nationale a commis la faute énorme, mais non pas irréparable, de refuser sa sanction à ce traité.
  2. Moniteur haïtien du 5 mai 1849.