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Il y pensait pourtant, non sans inquiétude,
Et son orgueil blessé murmurait vaguement.
Il songeait quelquefois à l’épouse d’Ulysse,
Qui détruisait la nuit son ouvrage du jour ;
Mais d’un cœur bien épris quel n’est pas l’artifice !
Pour se tromper soi-même il est plus d’un détour.
Il se trompa si bien qu’au bout d’une semaine
Trois panneaux étaient peints. — En face du dernier
Il dit, — fut-ce vraiment un conseil de sa haine ? -
Avant que d’y toucher, je mourrai prisonnier. »

Les esclaves pourtant, à l’heure accoutumée,
Apportaient le festin sur un disque fumant,
Quand, tenant par la main sa Myrrha bien-aimée,
Alcibiade entra vêtu superbement.

« Ami, dit-il au peintre ému de sa présence,
« Les dieux pour nous conduire ont des chemins divers ;
« Nous, d’un esprit soumis, adorons leur puissance
« Qui régit à son gré cet aveugle univers.
« Ton génie obéit à leur divin caprice ;
« Aujourd’hui, malgré toi te voulant glorieux,
« De leurs desseins secrets ils m’ont rendu complice ;
« De Myrrha pour te plaire ils ont armé les yeux.
« Ton orgueil à Vénus réservait la victoire
« Pour pouvoir sans rougir avouer ton vainqueur ;
« Les dieux reconnaissans te donneront la gloire,
« Et moi, si tu le veux, je guérirai ton cœur.
« Cette esclave te plaît, ami ; je te la donne,
« Jamais je n’approchai de son lit respecté ;
« Sur ce front souriant que la grace couronne,
« Tu verseras la joie et l’immortalité.
« Heureux artiste ! A toi ces épaules dorées,
« Ces cheveux frissonnans et ce sein virginal,
« Et toutes ces beautés par tes mains illustrées ;
« Moi, j’aurai la copie, et toi l’original. »

Il dit : Myrrha sourit, et l’artiste rebelle
Sentit que la colère expirait dans son sein.
— Il avait tant d’amour ! la fille était si belle !
Il s’en vint vers son hôte et lui tendit la main.

Bref, le dernier panneau ne demeura pas vide.
Agatharque y peignit Vénus sortant des eaux,