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Et vendrait son pays pour un baiser de plus.
Voilà quel est don Juan ! — Les jeunes gens candides
Qui se sont pris d’amour pour ce vil libertin,
Heureusement pour nous n’ont pas des cœurs perfides
Et ne suivent ses pas que d’un pied incertain
Ils ont de bons amis, ils adorent leurs mères,
Aux orphelins transis ils donneraient leur bien,
Ils ont le cœur si plein qu’ils aiment des chimères,,
Et pleurent de douleur à la mort de leur chien.
Sans doute il eût été plus simple et plus commode
De vivre doux et bons ainsi qu’ils étaient nés ;
Pourquoi les quereller ? Ils ont suivi la mode.
Ce n’est pas pour si peu que je les crois damnés.

S’il faut absolument un héros pour leur plaire,
S’ils veulent se choisir des maîtres en amour,
Je crois qu’Alcibiade eût mieux fait leur affaire
Noble, brave, insolent, aussi beau que le jour,
L’ami de Périclès et l’amant d’Aspasie,
Jeune, amoureux des arts, capitaine à vingt ans,
Balayant le pavé de sa robe d’Asie,
Faisant à l’Agora la pluie et le beau temps,
Philosophe charmant dans la charmante Athènes,
Vainqueur trois fois de suite aux courses de chevaux,
Orateur éloquent auprès de Démosthènes,
Élève de Socrate, ardent à ses travaux,
Bon convive aux festins, adroit à la tribune,
Surpassant au conseil les plus vieux généraux,
Nul n’égala jamais son nom et sa fortune
Dans ce pays d’Athène abondant en héros.

Aussi, quand il passait à l’ombre des platanes
Sous ce beau ciel de Grèce au reflet argenté,
Prêtresses de Cérès, reines et courtisanes
Sentaient dans leurs cheveux frémir la volupté.
Assemblage inoui de vertus et de vices,
Le peuple athénien l’aimait pour sa beauté,
Riait de ses bons mots, pardonnait ses caprices
Et le traitait un peu comme un enfant gâté.
Jamais les beaux esprits de Paris ni de Londre
N’imiteront sa grace et sa verve en amour ;
Gentilhomme -excentrique- et sans être hypocondre, -
Deux mille ans avant eux il inventa l’humour.
Si vous ne le croyez, amis, lisez Plutarque,