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laisse pas décourager par ce refus dédaigneux. Comme la richesse est pour lui le premier de tous les biens, et que l’honneur d’une pauvre fille n’est dans sa pensée qu’une chose imaginaire qu’on peut remplacer à prix d’argent, il offre une dot à Claudie. Remy, témoin de cette offre injurieuse, l’écoute en frémissant et lui explique enfin pourquoi il ne l’a pas châtié ; pourquoi il n’a pas vengé le déshonneur de sa fille. Ronciat, accablé sous le mépris de tous ceux qui l’entourent, qui l’ont entendu et le maudissent, offre son nom à Claudie, qui lui répond avec une simplicité toute chrétienne « Que Dieu vous pardonne, comme je vous ai pardonné depuis long-temps ! Je ne serai jamais votre femme ; pour échanger son nom contre le nom d’un homme, ce n’est pas assez de l’aimer, il faut l’estimer, et je vous méprise. » Le père Fauveau attendri supplie en vain Claudie d’accepter la main de Sylvain, il se jette en vain à ses genoux et la conjure de céder aux larmes de toute une famille ; la Grand’Rose joint aux prières du père Fauveau ses prières encore plus ardentes ; Claudie a résolu de porter seule tout le poids de sa faute. C’est alors que Remy, au nom du Dieu clément dont il représente l’autorité sur la terre, délie sa fille du serment orgueilleux qu’elle a prononcé dans son cœur, et met sa main dans la main de Sylvain. Chacun comprend, sans que je le dise, toute la grandeur, toute la simplicité de ce dénoûment.

Le style de Claudie est pareil au style du Champi c’est la même naïveté et parfois aussi, je dois le dire, le même enfantillage. Les locutions berrichonnes que le public parisien admirait dans le Champi se retrouvent à chaque scène de Claudie. Quel que soit l’engouement de la foule pour ces locutions, je n’hésite pas à les condamner, car elles impriment au langage un singulier cachet de monotonie. Ces locutions, d’ailleurs, n’ont rien qui appartienne en propre au Berri ; à quelques lieues de Paris, en parcourant les fermes et les villages, on peut retrouver, ou peu s’en faut, toutes les formes de langage que l’auteur de Claudie nous donne comme berrichonnes. Cette fantaisie, qui a excité l’ébahissement de la foule, n’est pour moi qu’une fantaisie puérile. Je comprends très bien que Molière, ayant à mettre en scène des paysans, leur prête le langage de leur condition, et pourtant, malgré toute son habileté, il lui arrive parfois de lasser l’attention du spectateur ; je n’en citerai qu’un exemple, que chacun a déjà nommé d’avance, le dialogue de Mathurine et de Pierrot dans Don Juan. Ce que Molière avait fait pendant quelques minutes avec un succès très douteux, l’auteur de Claudie a voulu le faire pendant trois heures, et, malgré ma vive sympathie pour le talent qu’il a montré dans le développement des caractères, dans l’expression des sentimens, je suis bien obligé d’avouer que les personnages mis en scène auraient à