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Remy, est un personnage héroïque : il sait la faute de Claudie, et ne songe pas même à se plaindre ; il connaît le séducteur de sa fille, et ne conçoit pas la pensée de la vengeance. Vieux soldat, s’il n’obéissait qu’aux instincts de sa nature, il jouerait sans regret, sans hésiter sa vie contre la vie du séducteur ; mais il croit que Claudie aime encore l’homme qui l’a trompée, et, dans la crainte de l’affliger, il accepte l’humiliation qu’il voudrait laver dans le sang de l’offenseur : ce personnage fait le plus grand honneur à l’imagination de l’auteur ; c’est une nature pleine de dévouement et d’abnégation, un cœur ardent, prompt à la colère, qui refoule en lui-même les mouvemens tumultueux de la passion, pour ne pas faillir à la mission qu’il s’est donnée. Remy se vengerait sur l’heure ou plutôt se serait vengé depuis long-temps, s’il n’eût consulté que son courage ; mais il croit que Claudie n’a pas renoncé à toutes ses illusions, qu’elle n’a pas encore jeté au vent, comme une vaine poussière, les promesses et les sermens qu’elle a reçus ; il croit qu’elle espère encore une réparation, la seule que le monde accepte et ratifie, un mariage qui effacerait sa faute en donnant un père à son enfant. Il n’ignore pas que le séducteur de Claudie, d’abord plein d’empressement et d’ardeur quand il croyait, en épousant la jeune fille qu’il a trompée, payer ses dettes et arrondir son patrimoine de quelques morceaux de terre, s’est refroidi tout à coup dès qu’il a vu Claudie réduite à la pauvreté. Cependant, généreux et crédule jusqu’au bout, il ne veut pas désespérer du repentir du coupable ; il ne veut pas renoncer à la pensée de voir un jour sa fille réhabilitée, et, confiant dans la justice divine, il abandonne la réparation sanglante que son bras pourrait lui donner. Remy, tel que l’a conçu l’auteur de Claudie, est à mes gueux une des créations les plus vraies, les plus grandes et les plus simples que puisse rêver l’imagination des poètes. Il n’y a, en effet, dans son dévouement, dans son abnégation, ni déclamation ni emphase : il souffre et se résigne sans murmurer contre la Providence ; il accepte, avec une soumission absolue, les épreuves que Dieu lui envoie, et ne devine pas même la grandeur et l’héroïsme de sa docilité. Personnage vraiment évangélique, il pratique le pardon le plus sublime, sans se douter de l’admiration qu’il mérite ; il comprime, il apaise, avec une persévérance obstinée, les bouillonnemens de son sang qui appellent la vengeance. Remy est, à mon avis, le personnage le mieux conçu, le plus complet de l’ouvrage.

Denis Ronciat, le séducteur de Claudie, pourra sembler, à quelque esprits scrupuleux, empreint d’un cynisme grossier ; pour ma part, je comprends très bien que l’auteur n’ait pas hésité à lui donner cette physionomie repoussante ; c’est en effet le paysan riche et sensuel ; tel que nous le voyons dans nos campagnes, qui ne s’accorde guère avec