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Comme orateur, l’homme d’action se retrouve encore dans sa parole. De tous les généraux qui ont pris part, à diverses époques, aux discussions politiques en Espagne, le général Narvaez est un de ceux qui l’ont fait avec le plus de distinction. On a pu observer plus d’une fois ce caractère particulier qu’a le langage des hommes formés à l’école de la vie militaire. Il est certain que les soldats ont une manière d’aborder la tribune et de s’exprimer sur la politique pleine d’une précision et d’une netteté qui ne sont point étrangères aux habitudes de leur vie ; ils ne parlent guère pour parler ; ils vont droit au but ; ils sont accoutumés à savoir ce qu’ils veulent dire, comme ils savent ce qu’ils doivent faire. Cette parole d’un soldat, quand elle ne va pas par malheur s’embourber dans la logomachie des partis, arrive aisément à une sorte d’éloquence propre très distincte de l’éloquence plus littéraire des orateurs politiques. On pouvait voir, récemment encore, en plein sénat, à Madrid, éclater le contraste de ces deux genres de paroles : d’un côté, c’était M. Lopez, le fougueux tribun de 1836 et de 1843 et l’un des hommes les plus éloquens de l’Espagne au sens ordinaire du mot, l’un de ceux qui possèdent le mieux l’ art de passionner une argumentation, de grouper des tableaux, de jeter dans un discours toutes les ressources de l’imagination ; c’était encore un tribun attaquant le gouvernement. De l’autre côté, c’était le duc de Valence, portant le tranchant de sa parole dans cet habile tissu oratoire de son adversaire, dissipant cette fantasmagorie, précisant les faits et laissant percer parfois un accent de virile émotion. Le général Narvaez a eu coup sur coup à se défendre, au sénat ou au congrès, soit dans les actes de son administration, soit personnellement, soit même dans son passé ; il l’a fait avec une réelle habileté, souvent avec esprit et toujours avec une mesure de langage qu’on n’attendait peut-être point de lui. Il s’est quelquefois servi de la parole pour caractériser avec un sens supérieur l’œuvre politique à accomplir en Espagne. « Le jour où un parti politique pourra laisser le gouvernement, la direction des affaires publiques à un parti opposé, disait-il au congrès en 1848, ce jour-là la nation recueillera le prix du sang qui a été versé et de tant de coûteux sacrifices mais j’ajoute une circonstance : ce sera le jour où ce parti pourra laisser la place à ses adversaires politiques., pour que ceux-ci puissent gouverner suivant leur conscience, suivant leurs doctrines, sans être forcés de céder aux exigences de ceux qui voudraient aller plus avant. Là est la condition. » C’était parler en politique, et c’était peut-être aussi se donner spirituellement le champ libre devant les partis, — devant le parti progressiste surtout, qui n’en est point là. L’Espagne, au surplus, est-elle arrivée à un tel point de raffermissement, que le pouvoir puisse passer indifféremment d’une main à l’autre au sein du parti modéré lui-même ? L’expérience est