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ambition, celle de premier serviteur de la monarchie, de premier sujet de la reine. Là où Espartero flottait dans une irrésolution qui finissait par s’élancer au-delà du but, Narvaez avait cette décision de coup d’œil qui précise et règle l’action. Dans la politique comme à la guerre, il a su ce qu’il voulait, et ce qu’il voulait était conforme à un instinct national aussi bien qu’à un intérêt permanent du pays : c’est la défense de la monarchie et le maintien de l’ordre matériel en Espagne. Sa politique est l’application de ce qu’il disait dans son ordre du jour à l’armée de la Manche : « Tous ceux qui veulent plus que ce que je vous dis, tous ceux qui veulent moins, tous ceux qui veulent autre chose, ceux-là sont les factieux qu’il faut combattre. » C’est cette fixité d’un point fondamental qui communique une singulière force à un homme. Là est la différence, au point de vue politique, entre Espartero et Narvaez. L’un a voulu, sans trop savoir peut-être où il marchait, exercer des représailles contre la monarchie, et s’est fait son vainqueur dans un pays tout monarchique ; l’autre s’est fait le premier soldat de la royauté constitutionnelle. C’est ce qui explique comment Espartero a si peu réussi, tandis que le nom de Narvaez se confond aujourd’hui avec le calme et une prospérité relative de l’Espagne.

Veut-on observer quelques traits plus personnels de ces deux hommes dans leur rapport avec le rôle qu’ils ont joué ? Ces traits sont caractéristiques. Ce qui a distingué Espartero durant toute sa vie militaire et politique, c’est la temporisation, la patience, la lenteur. Chacune de ses opérations de l’armée du nord de 1838 à 1840 porte ce cachet ; nul n’a mieux su attendre quand les résultats étaient douteux ; nul ne s’est plus fié au temps, et par là il représentait sans doute encore un des côtés de la nature espagnole. Narvaez a toujours été, au contraire, l’homme des promptes résolutions, de l’inspiration soudaine, de l’ardente et infatigable activité. Il est Andaloux en cela comme en bien d’autres choses. Cette différence prend un relief singulier dans le dernier éclat de l’antagonisme entre les deux généraux en 1843, et s’offre encore à ce dernier moment comme la raison de la chute rapide de l’un et du succès de l’autre. On n’a point oublié peut-être quelle était la situation d’Espartero exerçant la régence au mois de juillet 1843. Un cabinet dont M. Lopez était le chef, dont le général Serrano était le ministre de la guerre, qui était le produit d’un retour marqué de l’opinion publique vers des idées de conciliation, et qui avait d’avance tous les suffrages du congrès, venait d’essayer de se former. Il échouait devant la répulsion du régent. Les cortès avaient été dissoutes. L’union s’était faite au cri de : Dieu sauve le pays et la reine ! entre la fraction du parti progressiste dont MM. Lopez, Olozaga, Cortina, étaient les chefs, et le parti modéré, qui avait ses principaux membres et ses généraux dans l’émigration. Les premiers symptômes