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sa carrière, et la résistance devenait un mouvement national dont Narvaez était un des chefs naturels et légitimes.

C’est peut-être ici le moment de ressaisir dans leur ensemble le caractère, les moyens d’action et les résultats de ces antagonismes militaires et politiques qui occupent une si grande place dans l’histoire moderne de l’Espagne. Du mouvement de ces antagonismes il est sorti pour la Péninsule tout ce qui pouvait sortir : deux grandes situations politiques, — l’une comprise entre 1840 et 1843, l’autre entre 1843 et aujourd’hui, — aussi différentes par leurs conditions propres que par la nature des hommes en qui elles se personnifient. Le nom d’Espartero est maintenant un nom historique ; le duc de la Victoire a accepté lui-même avec honneur ce rôle de personnage de l’histoire en rentrant dans son pays par le libre concours d’un gouvernement qui lui rappelait une défaite, et en refusant son nom aux partis. Ce n’était point un cœur déloyal, c’était un esprit vain, susceptible et irrésolu, dont un entourage vulgaire et ambitieux entretenait les susceptibilités pour s’en faire une arme, et les irrésolutions pour les diriger. Au point de vue militaire, Espartero était un véritable soldat, lorsque, le premier en tête de ses colonnes, il emportait le pont de Luchana à Bilbao et les positions de Peñacenada, ou bien qu’il châtiait l’indiscipline et exerçait de terribles justices sur les assassins de Saarsfield et d’Escalera. Cet instinct supérieur du soldat lui manquait, lorsqu’il laissait ses officiers, en 1837, signer des adresses à Pozuelo de Aravaca contre un ministère, quelque mauvais qu’il fût, lorsque, de son camp de Mas de las Matas, en 1839, il abritait sous son nom des manifestes contre le système politique du gouvernement. Il y a loin d’un général se faisant une grande situation politique, en assumant les devoirs, transportant au besoin de son camp dans les affaires les qualités militaires qui le distinguent, à un général toujours prêt à mettre ses opinions au bout des baïonnettes de ses troupes. Le premier est un homme d’état sans cesser d’être un homme de guerre, le second n’est ni un soldat ni un politique. Un général à la tête d’une force active est un homme à qui ses soldats obéissent et qui obéit à son gouvernement, -qui n’a de plus que ses soldats que la liberté de se retirer. Le duc de la Victoire méconnaissait cette mesure dans laquelle un chef d’armée peut intervenir dans les affaires d’un pays. En laissant l’émeute violenter la reine Christine en 1840 à Barcelone, tandis qu’il recevait lui-même les ovations populaires, il ne voyait pas qu’il ne faisait qu’imiter l’acte du sergent Garcia à la Granja. En donnant le premier l’exemple de l’indiscipline à ses troupes, il ne voyait pas qu’il se servait d’une arme qui éclaterait dans ses mains et se retournerait contre lui, comme cela est arrivé en effet par cette série de conspirations militaires qui ; ont rempli l’époque de sa régence.

Une des qualités du général Naraez, au contraire, ç’a été l’instinct