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de la Manche en 1838. La guerre civile espagnole n’a point eu les mêmes caractères sur tous les points où elle s’est développée et a régné à la fois. Dans les provinces basques, le patriotisme local dominait, et donnait à cette lutte quelque chose de sérieux et de politique. En Catalogne, des prêtres et des moines étaient l’ame de la junte de Berga et fanatisaient l’insurrection. Dans l’Aragon et Valence, c’était plutôt la guerre pour la guerre, par esprit d’aventure, par haine de la vie régulière. Dans la Manche, c’était bien autre chose ; c’était une guerre de brigandage, de dévastation et de ruine. La Manche, on le sait, étend ses plaines poudreuses et desséchées entre la Castille-Nouvelle et l’Andalousie ; la proximité des monts de Tolède offre un refuge facile et sûr à toutes les rébellions. Dans cet espace se maintenait, malgré les efforts des généraux Flinter, Aldama, Pardiñas, une armée factieuse de plus de six mille hommes, organisée, levant des impôts, rançonnant le pays, portant le meurtre et le pillage de tous côtés, et aussi prompte à se disperser en bandes détachées qu’à se réunir au premier signal pour tomber en masse sur les troupes de la reine, quand elles paraissaient. À la tête de ces bandes étaient les cabecillas Palillos, Orejita, Cipriano, Remendado ; outre ces chefs de la faction dans la Manche, à ce moment de 1838, le cabecilla aragonais don Basilio, renouvelant avec moins d’habileté et de succès la tentative de Gomez, venait sur son chemin de brûler trois cents miliciens dans l’église de la Calzada de Calatrava. Le désordre était arrivé à un tel point dans la Manche, que la vie sociale était arrêtée en quelque sorte. Le travail était abandonné, les champs restaient incultes, tout commerce avait cessé. Des troupes de vagabonds affamés et demi-nus parcouraient les routes, et, dans cette population livrée à l’oisiveté et à la misère, les guerrillas puisaient chaque jour leurs recrues. Une démoralisation affreuse régnait dans ces contrées ; nulle autorité, d’ailleurs, ne se faisait sentir. C’était une province dont les seuls maîtres étaient quelques guerrilleros tenant en échec la portion honnête du pays terrifiée et le pouvoir central lui-même, qui envoyait vainement généraux sur généraux. Ajoutez que, par cet état de la Manche, toutes les relations directes entre le gouvernement et l’Andalousie étaient interceptées. Entre le nord et le midi de l’Espagne, il y avait là comme un espace interdit où les voyageurs ne se hasardaient plus, où les convois ne pouvaient pénétrer sens être pillés, d’où les courriers ne sortaient pas une fois qu’ils y étaient entrés, et où les troupes elles-mêmes étaient sans sûreté au milieu d’une population qu’un défaut de protection efficace et la terreur inclinaient à tous les ménagemens envers la faction.

C’est sur ce théâtre qu’avait à opérer une armée qui n’existait pas encore. Le caractère de ces opérations devait être évidemment politique autant que militaire. Le premier problème à résoudre, c’était de lever,