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s’opéra, mais il se trompa d’adresse, et ce fut la mère qui eut un fils l’année suivante. On devine que les esprits voltairiens de la contrée ne manquent pas, en parlant de ces prodiges, de faire allusion aux phalanstères que vous savez et même à de méchans moines, depuis long-temps disparus, et que l’on nommait, disent-ils, à juste titre les pères de l’endroit ; mais ces railleries sont partout les mêmes, et je ne les citerais pas si, en définitive, ces croyances coupables, ces dévotions païennes que la religion condamne ne prêtaient fort à la médisance et n’appelaient même jusqu’à un certain point la sévérité. Au reste, ces abus ont existé de tout temps à Roc-Amadour, et l’on doit penser même qu’ils étaient autrefois beaucoup plus considérables. Un ménestrel du XIIIe siècle, Pierre de Sygeland, a dit en un style équivoque :

A Rochemadour, ce me semble,
Où grans peuples souvent assemble
En pélérinage en alla ;
Moult de pélerins trouva là
Qui de lointains pays étoient
Et qui moult grant fente faisoient.

Hors l’audace incomparable de la construction première, les trois églises superposées de Roc-Amadour n’ont rien de très remarquable, et l’art n’a rien à dire aux nombreux tableaux suspendus en ex voto dans la chapelle dorée de Notre-Dame. Au-dessus des zigzags infinis de l’escalier taillé en plein dans la falaise, dominant le toit de la dernière église et tout le pays à la ronde, s’élève la maison élégante des missionnaires. Là comme partout, la vie claustrale, si austère et si froide, ne dédaigne pas de revêtir à l’extérieur une sorte d’apparence souriante et presque coquette. Ces religieux, qui font beaucoup de bien dans le pays et y sont très aimés, emploient en ce moment les souscriptions des pèlerins à la construction d’un grand bâtiment, également suspendu aux flancs des rochers. Ils logeront là plus convenablement les prêtres que le pèlerinage attire chaque année, et les auberges n’abriteront plus que la jeunesse pieuse et folle, ascétique et rieuse dont j’ai parlé.

Notre voyage était fini. Après avoir gagné la ville de Souillac, nous revînmes au logis en diligence et sans plus d’aventures. Avions-nous pieusement accompli notre pèlerinage ? Je ne sais, mais huit jours s’étaient passés gaiement. J’ai dit en commençant que l’on pouvait, sans aller loin, faire d’intéressans voyages : cette tournée m’a laissé, en effet, un souvenir plus durable et plus doux que bien des courses lointaines, et je me suis donné souvent beaucoup de peine pour dépenser plus mal une semaine de ma vie.


ALEXIS DE VALON.