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l’honorable général est, comme le roi Murat, originaire du Lot ; à ce titre, il était assez naturel que son portrait se rencontrât à Roc-Amadour. La forme oblongue de la médaille, le petit anneau qui la soutenait et la rendait absolument pareille à celle de tous les autres saints, me surprenaient pourtant un peu. Je priai le marchand de me donner une explication à ce sujet. Il me répondit que toutes les médailles étaient faites ainsi pour que l’on pût aisément les suspendre à son chapelet. Un chapelet, voilà certes un collier bizarre pour l’imagé d’un général républicain, et l’on ne sait qui doit être le plus étonné de se trouver ensemble, de la médaille ou du rosaire !

À moitié route, on arrive enfin au palier de la première église. C’est là qu’est pendu à un mur le fameux sabre de Roland. Roland, tué à Roncevaux, offrit, en 778, à Notre-Dame de Roc-Amadour un don en argent du poids de « son bracmar ou épée, » et Duplex, dans son Histoire de France, ajoute qu’après sa mort « son épée fut mise au-dessus de son chef et sa trompe à ses pieds, et l’épée, traduite depuis en l’église de Saint-Séverin de Bordeaux, fut portée à Roquemadeur en Quercy[1]. » Cette épée a été, dit-on, enlevée pendant la révolution. Dieu sait si on n’a pas fait une broche de cette fameuse Durandal que Roland, près de mourir, craignait tant de voir tomber en des mains peu vaillantes.

Ne vos ait hume ki pur attre (se) fuiet[2] !


Elle a été remplacée par un coutelas de fer informe que les femmes soulèvent à l’aide d’une petite chaîne, et qui ne doit ressembler en rien à cette arme incomparable qui taillait, sans s’émousser, des brèches dans les montagnes, et à laquelle son maître disait avec amour :

E. Durandal, cum es clere e blanche !
Cuntre soleill si luises et reflambes[3] !

Telle quelle, l’épée actuelle a cependant hérité, s’il faut en croire les matrones du pays, du plus rare mérite de sa devancière. J’ai dit quelle était la féconde vertu de cette arme vénérée. C’est un de ces mystères qu’il faut croire sur parole. Pourquoi l’épée de Roland donne-t-elle des enfans aux jeunes femmes qui n’en ont pas, c’est ce que personne ne peut expliquer. Toujours est-il que cette croyance a, dans le Midi, beaucoup d’adhérens. On m’a raconté qu’une mère désolée de voir sa fille sans postérité l’avait conduite au sabre de Roland ; le miracle

  1. Duplex, Hist. de France, chap. VIII et XI, page 321.
  2. « Ne vous ait homme qui pour autre s’enfuie ! » Chanson de Roland, poème attribué à Théroulde et traduit récemment par M. Génin, chant III, v. 868.
  3. Eh ! Durandal, comme tu es claire et blanche !

    Comme au soleil tu reluis et flamboies ! Idem., v. 878.