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des champs et des hommes qui lui procurent ses plaisirs ; il sait à peine qu’un humble cochon a été seul capable de découvrir sous terre ce tubercule sans racines et sans tige qu’il dévore aux dépens du quadrupède frustré. Aucun sentier, aucun signe ne nous guidait dans ce désert, et nous avions trop présumé de notre sagacité de montagnards. Après avoir fait un circuit immense, nous nous aperçûmes que nous nous étions complètement égarés. Pour comble de disgrace, la nuit était prochaine, et de gros nuages, traversés à toute minute par des éclairs, nous annonçaient un orage. Il n’y avait pour nous aucun abri en vue, pas un arbre, pas une haie. Le tonnerre retentit à ce signal, un vent terrible se déchaîna, et une pluie torrentielle vint nous fouetter le visage et détremper un sol visqueux où nous trébuchions à chaque pas. La perspective de passer la nuit debout au milieu de ces plaines inondées n’avait rien de souriant. Par bonheur, nous avions avec nous, comme je l’ai dit, un ex-élève de l’École polytechnique : ces mathématiciens sont gens précieux. Depuis une heure, notre ami faisait des opérations savantes : il calculait l’angle du soleil, il précisait l’endroit du ciel où il allait disparaître, il se flattait de retrouver notre route, et, comme nous nous étions moqués de son estime, il était parti seul à la découverte.. Au moment de notre plus grande anxiété, il revint en courant. Il avait découvert, nous dit-il, une maison. Nous nous élançâmes au pas de course, et nous arrivâmes en effet à une masure abandonnée, où nous nous blottîmes avec joie.

Cette hutte, si misérable qu’elle fût, était une heureuse trouvaille. Elle semblait avoir été habitée autrefois. Un trou percé dans le toit et une grande pierre servant de foyer indiquaient qu’on y avait fait du feu. Dans un coin se trouvaient un peu de paille, quelques branches sèches, et les restes d’une échelle brisée qui avait dû servir d’escalier pour grimper dans une sorte de grenier pratiqué entre la toiture et les solives. Je parle de cette distribution pour une raison fort dramatique que l’on saura bientôt. Les fumeurs ont toujours des briquets ; un grand feu fut bientôt allumé, et nous nous préparâmes, sans trop de chagrin, à passer la nuit sans souper dans ce bivouac improvisé. À tout prendre, notre malheur n’était pas grand ; nous étions assez jeunes pour prendre en bonne part cet incident pittoresque que les dandies de Paris ne rencontrent guère en voyage. Ce n’est pas en Suisse, par exemple, que cette bonne fortune de coucher forcément à la belle étoile écheoit au touriste altéré d’émotions ; là, toutes les étapes sont irrévocablement fixées. Il est décidé depuis un temps immémorial que vous boirez du vin chaud dans tel chalet, du lait dans tel autre, que vous arriverez à la couchée à une heure fixe pour en repartir à un moment déterminé, que vous suivrez une certaine route entre deux chaînes, de montagnes bien connues, invraisemblables,