Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/455

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en cet art… Ce brave homme nous exhiba une quantité de bûches de tilleul par lui transformées en saints doués de gros yeux à fleur de tête et de grandes mains plates toutes grandes ouvertes. Il y a peu de villes en province où ne réside un de ces artistes, mécaniciens ou sculpteurs, qui se croient méconnus. Saint-Ceré, du reste, est la patrie d’un homme qui fait à bon droit quelque bruit dans le monde agricole ; je veux parler de l’abbé Paramelle, le grand découvreur de sources. Il est certain que cet abbé, sans la moindre magie et même, à ce qu’on assure, sans aucune science, indique des sources et fait jaillir des fontaines là où personne n’en peut découvrir, et cela grace à un instinct merveilleux ou à des observations encore inexpliquées et dont il promet de laisser la clé après sa mort. Nul n’est prophète en son pays, et M. l’abbé Paramelle, qui passe en beaucoup de contrées pour une manière de sorcier, n’a pas dans sa ville natale la même réputation. Toujours est-il qu’il a donne dans beaucoup de départemens, et même en Angleterre et en Russie, des preuves étonnantes de son habileté. S’il n’en est pas de son secret comme des remèdes si souvent promis contre la rage, il aura le double mérite de faire sa vie durant une grande fortune et de laisser après lui l’explication d’une découverte qui peut valoir tout au moins les mines de la Californie.

Nus reprîmes assez tard dans la matinée nos hâtons de pèlerins et notre voyage pédestre ; cette fois, nous abandonnions les routes. Nous allions nous enfoncer un peu au hasard dans des solitudes dont on ne peut se faire, sans les avoir vues, aucune idée. En effet, à peine a-t-on gravi les collines riantes qui dominent Saint-Ceré, que l’on voit s’ouvrir devant soi une véritable Sibérie : c’est un désert sans bornes, sans arbres, sans maisons. Ces plaines immenses, où croissent à grand’ peine de loin en loin quelques maquis rabougris, sont tellement jonchées de cailloux blancs ; qu’on les croirait à première vue saupoudrées par une neige récente. De tristes murailles à hauteur d’appui coupent seules, de temps à autre, l’uniformité des lignes dans cette campagne désolée. Quelques troupeaux de moutons, qui semblent avoir été passés au safran, tant ils sont jaunis par une boue argileuse, errent tristement et comme à l’aventure dans ces steppes abandonnées, où l’on n’entend d’autre bruit que le tintement lugubre de la cloche fêlée que porte au cou le bélier conducteur de sa bande. Parfois un oiseau de proie ou un corbeau sinistre traverse, au-dessus de vos têtes, un ciel méridional, dont les teintes ardentes contrastent de la manière la plus frappante avec la couleur morne de la terre : c’est une véritable Thébaïde, et je ne sache pas en Europe un endroit plus propre à se brûler la cervelle. Ce pays est celui des truffes. Le gastronome du Café de Paris, qui voit apparaître sur sa table, à côté d’une bouteille de vin de Champagne, ce mets tant recherché, ne se doute guère de l’aspect misérable