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le bruit augmenta ; on marchait évidemment à mes côtés. Je me retournai et je vis une ombre se dresser dans les ténèbres. C’était mon berger du matin, le drôle déguenillé qui avait été, depuis Saint-Ceré ; mon compagnon de route. — Vous avez eu peur ! me dit-il en riant. Je l’aurais battu, mais je pris le parti de rire. — Il y a un homme qui a eu bien peur à cette place où nous sommes, continua-t-il en patois. Je compris que le berger était quelque peu cicerone et qu’il tenait à ma disposition une histoire pour un sou. Je l’engageai à parler. Alors il me raconta que deux ouvriers de Saint-Ceré, s’étant figuré, il y a quelques années, que des trésors pouvaient être cachés dans le souterrain où nous étions, avaient un dimanche fait des fouilles. Ils étaient parvenus à déterrer une grande caisse de fer. Voilà ces gens fort en émoi ; mais, quand il s’était agi d’ouvrir cette caisse, elle avait résisté à tous leurs efforts. Il fallut aller chercher à la ville des outils et des pinces. L’un des deux archéologues partit, laissant à son compagnon la garde du commun trésor. Cet homme fit alors la réflexion qu’un trésor à soi seul vaut exactement le double d’un trésor partagé. Il était scieur de long, et, comme tous les gens de cette profession, portait dans sa poche un grand compas de fer. Il imagina d’en introduire la pointe dans la jointure du coffre, puis il fit un effort, et le couvercle s’entr’ouvrit. Tout à coup une sorte de terreur le saisit. Cette caisse de fer avait la forme d’un cercueil. L’idée de la profanation qu’il allait accomplir, jointe à la pensée de la méchante action qu’il commettait, le silence du souterrain, l’obscurité profonde, tout cela le fit hésiter. Se hasarderait-il à glisser ses doigts dans le cercueil ? Et s’il allait y trouver un cadavre ! Puis la cupidité prit le dessus, et il plongea sa main sous le couvercle. Aussitôt il poussa un grand cri et tomba à la renverse. Il avait été mordu jusqu’aux os. Son compagnon, qui arriva dans ce moment, le trouva étendu sur le sol, les cheveux hérissés, les yeux retournés : il était fou et mourut peu de temps après. Le cercueil ne renfermait pas autre chose que des ossemens, une épée et un casque.

— Et qui avait donc mordu cet homme ? demandai-je au berger, était-ce un serpent ?

— C’était un clou, me répondit-il ; mais le scieur de long avait pris cette pointe-là pour les dents du mort.

Revenu à Saint-Ceré, je cherchai dans toute la ville le casque de ce guerrier dont l’exhumation avait eu un si dramatique résultat ; mais ce casque, qui est long-temps resté, m’assura-t-on, dans la boutique d’un serrurier, s’est égaré ; il fallut renoncer à l’espoir que j’avais conçu de chercher dans sa forme un argument de plus à l’appui de mon opinion sur la date des tours de Saint-Laurent.

Je trouvai à l’auberge mon ami le brocanteur fort en train de parler sculpture sur bois avec notre hôtelier, qui se croyait passé maître