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Caylus, dont les descendans prirent le nom de Clermont-Lodève. Les ducs de Luynes en héritèrent plus tard. Ils ont commis, il y a peu d’années, la faute de vendre pour quelques milliers de francs ce monument imposant, qui parlait si haut et si bien du temps de Marie de Rohan, ils doivent tenir plus que personne à conserver les débris. Le propriétaire actuel, M. de Tessieu, n’a pas le même intérêt à réparer ces vieux murs ; il se propose, au contraire, de les démolir, si la commission des monumens historiques refuse, comme il est probable, d’en faire l’acquisition. Déjà le vent traverse en sifflant les crevasses du donjon la pluie s’infiltre dans les chambres dorées ; nous verrons tomber ces vastes murailles, et avec Castelnau disparaîtra la ruine la plus mélancolique, la plus grandiose du centre de la France.

À trois lieues de Castelnau, et à peu de distance de la ville de Saint-Ceré, s’élève, au milieu des peupliers et des prairies, dans une fraîche vallée, un autre château plus modeste dans ses proportions, mais infiniment supérieur au point de vue de l’art : c’est Montal. Montal, où nous nous rendîmes le soir même, est un bijou exquis et ignoré de la renaissance. Jamais sculpteur amoureux ne fouilla d’une main plus délicate les murs d’un plus joli château. Montal, est brodé du haut en bas à l’extérieur et au dedans, comme l’Alhambra. Pour plus de ressemblance, le temps, au lieu de noircir ces murs flanqués de tourelles, les a revêtus d’une teinte rosée que l’on peut comparer, sans trop d’exagération, à cette nuance tant vantée que le sable du Jenil a donnée au stuc des Mores. Ce château a été construit vers 1520. Au-dessous des médaillons en demi-relief qui se détachent sur le mur, du côté de la cour, règne une large frise, du plus élégant dessin, de l’exécution la plus exquise, et dans cette frise on remarque de distance en distance R. I., qui ont de tout temps fort intrigué les archéologues indigène. J’en trouve dans les annuaires du Lot les interprétations les plus diverses, et les plus divertissantes. Rien ne dépasse la hardiesse d’imagination d’un savant de province. Sur cette mystérieuse inscription, on a fait des sonnets et des romans. Pas un collégien du pays, un peu fort en narration française, ne s’est dispensé d’envoyer au journal de la localité un feuilleton sur ces lettres amoureuses. J’en suis bien fâché, mais R. I. cela veut dire simplement Robert et Jeanne, Robert de Mental et Jeanne de Balzac, qui ont fait construire le château. « Le vrai est comme il peut, a dit Mme de Staël, son seul mérite est d’être ce qu’il est. » Du reste, la jeunesse quercinoise aurait l’imagination bien engourdie, si ce castel charmant et triste ne lui inspirait pas des légendes. Honte au cœur de vingt ans qui ne rêverait pas dans ces murs coquets une élégante jeune fille, délaissée ou captive, toute une histoire amoureuse avec la confidente obligée et le page assorti ? Ces deux mots plus d’espoir ! qu’on voit encore