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passé. Mieux vaut, à tout prendre, l’original que la copie, et l’excuse de ceux dont les prétentions semblaient trop exclusives a été fournie par ces.grotesques plagiaires gonflés d’envie, de fiel et de sottise.

Puisque nous en, sommes aux gentilshommes limousins, parlons-en tout à notre aise comme disait Montesquieu d’Alexandre. Aussi bien ne voyage-t-on pas pour décrire uniquement des pierres et des ruisseaux ; l’homme est quelque chose dans la nature, et l’on peut bien consacrer une page aux habitans d’un pays qui a vu naître le cardinal Dubois, le maréchal Brune, et où Mirabeau[1] passa sa jeunesse : Je disais tout à l’heure que l’on rencontrait à chaque pas, dans ce département des paysans vêtus de bure, et aussi ignorans que pauvres, qui peuvent tirer de leur armoire de noyer, à la première sommation, les lettres patentes qui anoblirent leurs familles au XVe ou même au XIVe siècle. Ces hobereaux, qui sont presque tous la proie des usuriers, qui tout au plus peuvent envoyer leurs enfans à l’école communale, savent très bien que leurs pères, non pas dans le moyen-âge, mais il y a moins de cent ans, avaient de hauts grades dans l’armée et faisaient bonne figure à la cour. Ce qui est surprenant, c’est que leurs aïeux n’étaient pas plus riches qu’eux-mêmes et qu’ils trouvaient, de quoi devenir des courtisans poudrés et chamans là où la génération actuelle à peine à se fournir de pain et de sabots. Quand on regarde ces tableaux pailletés et chatoyans où la cour de Versailles nous apparaît au milieu des flots de dentelles, de velours, et de broderies, quand on lit les mémoires si galamment écrits de ces époques élégantes, on ne se doute guère de la misère profonde que dissimulait ce luxe de mise en scène. Il faut, pour s’en bien convaincre, faire dans les provinces l’inventaire de ces jeunes ; seigneurs si insoucians et si généreux ; on s’aperçoit alors que la plupart d’entre eux jouaient contre la fortune le dernier écu de leur famille, et tel de ces officiers, pleins de grace et de désinvolture ne pouvait pas impunément crever son cheval ou tacher son habit. En Limousin surtout, où la misère a toujours été grande les gentilshommes faisaient au dernier siècle de véritables tours de force pour maintenir leur rang. Nous avons vu d’où était parti le comte d’Auteroches et je rencontre par hasard dans un vieux livre de comptes quelques pages écrites à la même époque par un autre officier limousin, son compagnon d’armes. Ces lignes familières, que nul ne devait lire, donnent, à mon sens, un aperçu frappant de la gêne où vivait alors la noblesse des provinces. Il est bon quelquefois de jeter un coup d’œil dans les coulisses de l’histoire ; écoutons la confession intime de ce gentilhomme qui représentait une des plus anciennes familles du pays.

« Nous étions sept frères, quand mon père mourut le 18 avril 1747.

  1. Au château du Saillant.