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Aussi la plupart des membres de l’assemblée, tous ceux qui n’étaient point obligés de se prononcer dans la presse ou de diriger une nombreuse et ancienne clientèle d’amis, s’abstinrent de conseils directs. Il n’y a pas un département dans lequel n’abondassent des lettres de représentans de la droite se résumant ainsi : « Nous sommes éloignés de nos commettans depuis un an ; nous avons traversé des crises qui ont dû profondément modifier les esprits ; n’intervertissons donc pas nos rôles ; ce n’est point à nous de diriger la France en ce moment, c’est à la France de nous donner elle-même la mesure de ses intentions et de son énergie. » C’était là professer et pratiquer en même temps le respect du suffrage universel. Fut-ce la conduite des républicains dans l’assemblée ? Pas le moins du monde. Ils poussèrent jusqu’au bout non-seulement l’esprit d’aveuglement, mais l’esprit d’arbitraire ; loin de reconnaître ou d’encourager l’initiative propre des électeurs, loin de sonder les profondeurs de l’opinion publique ou d’écouter ses murmures, ils se préoccupèrent, jusqu’au dernier moment, de leurs prédilections personnelles. L’élection du prince Louis était déjà apportée par tous les vents soufflant des quatre extrémités de la France, qu’ils se groupaient encore dans les bureaux de l’assemblée pour y provoquer une adresse solennelle de la majorité en faveur de la candidature du général Cavaignac. On scandalisait les ardens fauteurs du suffrage universel en leur proposant tout uniment de s’en rapporter à lui. L’assemblée avait donné au général Cavaignac, en appui, en témoignages de préférence sur son rival, tout ce qu’il lui était possible de donner ; aller plus loin, c’était dépasser le but sans l’atteindre. Quelques républicains parlèrent dans ce sens, mais avec regret et sans verve. La résolution qui prévalut fut celle de l’adresse au pays ; elle n’échoua que par la profonde stupeur qui s’empara de l’assemblée aux premiers jours de décembre.

La France parla enfin, et sa réponse fut explicite. Aux consciences timorées et trop long-temps indécises qui trouvaient que les démonstrations n’étaient pas complètes, elle répondit : C’est sur moi que l’expérience se pratique, et je la tiens déjà pour trop prolongée ; je comprends que les intelligences qui ne s’exercent que sur des mots et ne stipulent que pour des idées aient de la patience et se complaisent dans la logique ; mais moi, je suis de la chair vive et palpitante : c’est mon sang qui coule sous vos scalpels, c’est ma fortune qui s’épuise dans vos laboratoires politiques ; je ne veux plus étudier ni qu’on m’étudie, je veux vivre ! je suis effrayée du jacobinisme que vous avez laissé renaître, et je refuse mes voix à M. Ledru-Rollin. Je suis fatiguée des discours vagues et sonores qui ne servent qu’à charmer ma misère ; j’aimerais mieux une prospérité muette ; je refuse mes voix à M. de Lamartine. Je suis humiliée du système douteux qui ne me