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ateliers nationaux : je l’ai fait à l’improviste et en omettant beaucoup de détails. S’il y a jamais opportunité à réveiller ces cruels souvenirs, il convient de ne le faire désormais que pièces en main et complètement. Ce n’en est pas ici le lieu. Il suffit en ce moment de constater le phénomène dont nous poursuivons la démonstration : le mélange inoui d’illusion dans la théorie et de stérilité dans la pratique. L’empressement à flatter les passions du peuple, l’impuissance à servir ses intérêts, éclatèrent dans cette longue agonie d’une idée fausse aussi visiblement que dans toutes les autres questions. Il n’est pas un des républicains qui, au début de l’assemblée, ne fût impatient de la dissolution de ces ateliers. M. Pascal Duprat l’appuyait dans le comité du travail à côté de M. Coquerel ; M. Considérant entrait dans la même sous-commission que moi ; le premier rapport que je lus à l’assemblée avait été approuvé par lui ; M. Trélat, ministre des travaux publics, fit afficher sur les murs de Paris un extrait de ce rapport, comme expression de la pensée même du gouvernement. Cependant, lorsqu’il fallut passer des démonstrations aux actes, la scène changea, et les personnages reculèrent. On demandait alors un délai indéterminé et un crédit que M. Duclerc, ministre des finances, déclarait hautement l’équivalent de la banqueroute. C’est de l’initiative la plus directe de l’assemblée et à la suite de la discussion la plus approfondie dans ses bureaux, que sortit pour la première fois le mot dissolution. L’assemblée, jusque-là, avait cru aux moyens termes, aux procédés transitoires ; c’est en voyant grossir le péril dans des proportions qu’aucune prudence et qu’aucune force ne pourraient bientôt conjurer, en apprenant que les ateliers nationaux, ouverts en mars pour trente mille ouvriers dans la détresse, contenaient alors cent vingt mille mutins, et que cinquante mille autres frappaient à la porte, c’est alors que l’assemblée, se voyant à la merci de cette innombrable et mystérieuse armée, entendant de toutes parts les cris du commerce et de l’industrie, dont la ruine s’achevait par cette grève organisée, se sentit enfin gagnée par une impatience trop longuement provoquée. M. Goudchaux avait été nommé président de la commission pour l’ardeur avec laquelle il avait parlé dans les bureaux. C’est lui que menaçaient nominativement les affiches placardées dans tout Paris. M. Émile Thomas, qui fut pendant quelques semaines le masque de fer de la république, disparaissait et reparaissait sans qu’aucun vieil ennemi des lettres de cachet s’en émût. Le 22 juin, M. Arago et M. Marie vinrent dans la commission ; ils ne l’éclairèrent ni ne la satisfirent. Cependant l’insurrection était déjà ouvertement préparée, et l’on peut affirmer, dates et Moniteur en main, que ce fut uniquement pour répondre à un défi, pour donner aux gardes nationaux prenant les armes la certitude que l’assemblée marchait avec eux, que je fus autorisé à lire mon rapport. Lorsque