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d’où on l’avait tirée. D’ailleus, en s’appliquant à interpréter son modèle en ce sens, le graveur a dépassé le but, et, par la multiplicité des détails, par l’abus des demi-teintes destinées à soutenir les moindres saillies, il a privé le tout d’éclat et d’unité. Il y avait loin de cette méthode à celle des anciens maîtres, et Bervic vécut assez pour se repentir de ses erreurs : « J’ai méconnu le bien, disait-il à ses élèves ; si je recommençais ma vie, je ne ferais rien de ce que j’ai fait. » il se calomniait en s’accusant ainsi. Comme tous les pénitens tardifs, il ne se rappelait que les torts de son passé, sacrifiant à ce souvenir celui de plus d’un acte méritoire. On comprend ces regrets et cette première ferveur de conversion, mais on doit être plus juste que Bervic ne l’était alors pour lui-même et ne pas oublier qu’il y avait dans son œuvre beaucoup de parties à excepter de la condamnation qu’il portait sur l’ensemble. Ce n’était pas seulement en ce qui concernait la gravure, que l’auteur du Laocoon reniait, dans ses dernières années, ce qu’il appelait « le culte des faux dieux. » Lorsque les épreuves en plâtre des marbres du Parthénon furent exposées à Paris, son admiration pour ces précieux fragmens devint une sorte de fanatisme. Aux séances de l’institut, il déclarait que l’art antique venait de lui être révélé pour la première fois : qu’étaient l’Apollon, la Diane, toutes les statues les plus célèbres, au prix des statues de Phidias ? « Nous avons fait fausse route, disait-il à ses confrères ; il n’est plus temps de revenir sur nos pas : mais il est temps encore de montrer le droit chemin à ceux que nous en avons involontairement détournés. » Aussi ne cessa-t-il, à partir de ce moment, de recommander à ses élèves l’étude assidue des sculptures du Parthénon. Un tel conseil n’aurait rien que de fort simple aujourd’hui, mais il y avait du mérite à le donner sous le règne des théories de Winckelmann et de David ; et quand on songe que celui qui se faisait ainsi le champion de la foi nouvelle était un vieillard, un artiste ayant dû les succès de sa vie entière à la pratique de tout autres principes, on ne peut s’empêcher d’honorer pleinement cette vigueur de passion et ce zèle d’abnégation personnelle.

À l’époque où Bervic était réputé le premier des graveurs français contemporains, l’Italie s’enorgueillissait d’un graveur bien inférieur à lui, et qui, dans la pénurie de talens où elle se trouvait alors, usurpait la gloire d’un maître. Comme Canova, avec lequel il offre plus d’un point de ressemblance, Raphaël Morghen eut le bonheur de venir à propos. Artistes fort secondaires l’un et l’autre, ils eussent pu passer inaperçus dans un siècle plus favorisé ; celui où ils vécurent ne leur donnant pas de rivaux, on leur sut gré de cette supériorité purement actuelle et relative comme d’une marque de haut mérite. D’ailleurs, il leur était facile d’arriver au succès en obéissant simplement aux goûts manifestes du public. Les écrits de Winckelmann et ceux de Raphaël