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étrangère, de toute commotion intérieure. Qui pouvait prendre sur lui de rejeter cette épreuve ? Ainsi fut-il conseillé, ainsi fut-il fait. Tous ceux que le penchant de leurs idées éloignait du mouvement actuel s’y rallièrent par l’amour réfléchi de la patrie et par leur indissoluble solidarité avec ses destinées. Le labeur et le péril d’ailleurs pouvaient, malgré quelques symptômes favorables et quelques promesses sincères, redevenir prochains. Ce fut là aussi le motif entraînant de beaucoup d’hommes que le simple raisonnement n’eût pas déterminés. Il y a soixante ans que la France dépérit graduellement par déperdition de forces ; il est plus que temps d’y porter remède. Si les prévisions optimistes étaient trompées au dehors, il ne s’agirait de rien moins que d’une guerre d’extermination ; si les collisions survenaient au dedans, nous retournerions à l’état sauvage, car il n’y a plus rien à renverser en France. Tout ce que la main des hommes peut modifier ou détruire a été remué de fond en comble ; il ne reste plus à attaquer que l’œuvre de Dieu même, c’est-à-dire les lois d’éternelle justice et d’indispensable morale que la Providence a données pour base à la civilisation. La France devait accomplir désormais un chef-d’œuvre de sagesse, ou rouler de convulsions en convulsions jusqu’au dernier terme de sa décadence. Qui pouvait hésiter devant de telles alternatives, reculer devant de tels périls et de tels devoirs ?

Nul sacrifice de conscience, du reste, n’était exigé de personne. On n’avait à renier ni ses antécédens, ni ses traditions de famille. Le serment politique était aboli. Qui pouvait se livrer au regret des distinctions nobiliaires ? Ce que les privilèges féodaux impliquaient autrefois de prépondérance dans l’état n’existait plus depuis long-temps. Les jeunes générations aristocratiques ne les connaissaient, pour ainsi dire que comme des inconvéniens ou des obstacles. On allait détruire, il fallait bien l’espérer, la basse jalousie, et on y substituait l’émulation. Qui ne bénirait cet échange ? Il ne dépend pas de tout le monde d’être des petits-fils ; nous allions tous devenir des ancêtres ! L’ambition n’y perd rien, puisque ambition l’on suppose. Les hommes monarchiques ne sont pas si humbles que de se croire dépouillés de tout, parce que l’on ne comptera plus désormais que les valeurs personnelles. La carrière politique, loin de se fermer pour eux, s’agrandissait. Leur fierté légitime ne s’inclinait pas, elle se transformait.

En agissant ainsi, les hommes monarchiques ont fait deux choses un grand acte de patriotisme et un grand acte d’habileté. — Un grand acte de patriotisme, car si la république, par la vertu de ses conditions propres ou par le génie des républicains, avait de grands biens à verser sur le pays, les monarchistes faisaient mieux que de s’y résigner, ils s’honoraient d’y concourir ; leur abnégation ne leur coûtait plus rien, puisqu’elle profitait à la grandeur de la France ; les princes mêmes, du fond de leur exil, les fortifiaient et les encourageaient à