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rôle qu’avec des pensées de représailles et de guet-apens. Cette accusation est perpétuelle, et il n’est pas toujours sage de croire que les allégations odieusement invraisemblables se réfutent d’elles-mêmes. J’ai donc eu bien des fois, depuis deux années, l’occasion d’interroger mes souvenirs, bien souvent j’ai confronté silencieusement cette vaste théorie du machiavélisme des hommes d’ordre avec ce que j’avais vu et entendu parmi eux, et toujours j’ai trouvé la conduite intime de tous les hommes près desquels j’ai eu l’honneur de siéger si conforme à leurs engagemens officiels et publics, j’ai trouvé les moindres détails de leur conduite si fidèlement conformes à l’ensemble, j’ai trouvé même si souvent qu’ils avaient dépassé ce qu’on avait le droit d’attendre d’eux, que j’ai cru utile de publier quelques-uns de ces souvenirs : ils compléteront l’histoire, autant que le permet une juste réserve, par le récit de quelques détails oubliés ou ignorés précisément parce qu’ils ne sont qu’accessoires, mais concluans et décisifs parce qu’ils n’ont pu être le résultat ni d’un concert préalable ni d’un calcul. Ce que je redoute le plus pour mes amis comme pour moi, c’est l’apparence d’un manque de sincérité. L’erreur conserve de la dignité quand elle est sincère ; la vérité même n’a plus de prix sur des lèvres qui s’en font un jeu.

Ce court travail aurait pu être entrepris uniquement par point d’honneur, et cela eût suffi pour le justifier ; mais une considération politique s’y mêle aussi, et je l’avoue. S’il est vrai que la république vive surtout par le dévouement désintéressé de ceux qui l’ont toujours jugée inapplicable et funeste à la France, n’est-il pas temps d’étudier à fond ce problème ? Chacun de ceux qui ont pris plus ou moins de part à ce bizarre tour de force n’ont-ils pas le droit d’élever leur voix devant le pays, et, s’ils ne peuvent le ramener encore à la vérité, de cesser du moins d’entretenir ses illusions ? La révision de la constitution, devenant d’ici à peu de mois facultative, ne doit-elle pas être précédée par une grande enquête de l’opinion publique, et, sans croire qu’on apporte un témoignage nouveau, chacun de nous ne doit-il pas, à son heure et à son point de vue, donner le signal des explications à cœur ouvert et appeler l’attention sur tout ce qui, dans le passé, se rattache aux préoccupations de l’avenir ? N’est-il pas temps enfin d’opposer à beaucoup de plaidoiries, passionnées par l’avocat, la parole véridique et calme du témoin ? On est conduit, il est vrai, à mettre en jeu des noms propres. Je le regrette : cela n’est pas mon penchant. On en sera convaincu, je l’espère, au moment même où je me condamne à passer par-dessus cette répugnance qui m’a arrêté long-temps… aussi longtemps que je n’ai pas trouvé à parler un devoir supérieur au plaisir et à la commodité de se taire.

Selon moi, dans l’élan des mouvemens les plus irréfléchis comme