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un système de droits spécifiques sur les marchandises qui seraient susceptibles de ce genre d’imposition, et sur les autres l’évaluation se ferait selon le taux du marché américain, et non point d’après celui des marchés étrangers ; ou bien, si l’on ne veut absolument pas de droits spécifiques, on soumettrait à l’évaluation américaine tous les objets importés ; — ou bien enfin l’on élèverait purement et simplement les droits sur une grande variété d’articles « qui pourraient souffrir cette surtaxe, au grand avantage du commerce et du revenu de l’Union. » Il est très vraisemblable que l’Angleterre, encore plus directement intéressée que nous dans tous les échanges de l’Amérique, ne goûtera guère cet avantage. M. Corwin prend d’ailleurs des précautions qui, même avec le maintien du système actuel, devront restreindre beaucoup les commodités qu’on avait su jusqu’alors s’y ménager. Il demande la création d’un corps d’appréciateurs (appraisers) attachés au gouvernement même de l’Union et chargés d’en visiter, d’intervalle en intervalle, les principaux ports d’entrée ; ces appréciateurs auraient pouvoir de corriger les évaluations qui ne leur sembleraient pas exactes, et de faire des règles uniformes pour tous les bureaux de douane. On voit aisément les conséquences de cette inspection générale dans les différens états de la république, et il n’y a point à douter qu’elle n’en rendit l’accès plus onéreux aux marchandises étrangères.

Quoi qu’il puisse arriver de ces intentions de rigueur fiscale pour les rapports mutuels de l’Angleterre et des États-Unis, le ministre anglais, sir Henry Bulwer, prodiguait encore l’autre jour, dans une circonstance publique, les louanges les plus pompeuses au peuple américain, et priait « le génie protecteur des deux races fraternelles de bénir les autels jumeaux qu’elles voulaient désormais élever en commun au souvenir et à l’espérance. » Il y a de l’ithos et du pathos dans cette éloquence diplomatique ; mais sir Henry Bulwer n’est pas homme à ne point connaître son public, et il a déjà sans doute appris la mesure des vanités nationales de l’Yankee. Il en use à l’occasion. L’occasion était cette fois brillante ; c’était un grand banquet donné à New-York pour célébrer le jour des ancêtres, l’établissement de la Nouvelle-Angleterre en 1620. Le discours prononcé par M. Daniel Webster, auquel répondait sir Henri Bulwer, est un morceau remarquable par la confiance avec laquelle l’homme d’état américain en appelle à l’avenir de sa patrie ; il fait une allusion triomphante aux récentes divisions suscitées par les bills relatifs à l’esclavage. « Il n’y a plus à redouter, s’écriait l’orateur, la désunion des États-Unis ! » Et toute l’assemblée se lève en masse et applaudit avec fureur sur cette exclamation. « Nous vivrons, et nous ne mourrons pas, nous vivrons comme Américains-Unis, et ceux qui ont pensé qu’on pourrait rompre les liens qui attachent nos cœurs, que les spéculations et la métaphysique pourraient déchirer notre alliance, ceux-là se sont terriblement mépris. Je crois à la force de l’Union ! C’est comme Américains qu’on nous connaît dans le monde. En Europe, en Asie, en Afrique, demandera-t-on à quel état de l’Union vous appartenez ? Vous êtes Américain, vous êtes sous la protection du pavillon étoilé : tout est dit ! »

ALEXANDRE THOMAS.


V. de Mars