Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/396

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur les autres. Une fois bien acquises et venues en leur saison, les vraies libertés durent plus qu’on ne croirait, à les voir si fréquemment contestées, même après leur triomphe.

Une autre affaire, moins brûlante, mais plus considérable que celle de l’antipapisme et des protectionnistes, doit encore arriver à la session prochaine : il s’agit d’une enquête parlementaire sur l’état des possessions anglaises dans l’Inde ; c’est un travail qui, doit prendre au moins trois ans, et l’on en peut mesurer l’importance par l’étendue seule du sujet. L’imagination reste confondue pour peu qu’elle cherche à se figurer l’immensité de l’empire indien ; c’est un des aspects les plus merveilleux de la puissance britannique, et l’on n’a point une juste idée de ce grand gouvernement, si l’on ne se représente cette vaste domination aux soins de laquelle il doit pourvoir. Il y a là tout un monde qui s’étend sans interruption sur 25 degrés de latitude, et où l’on trouve les climats les plus divers, les races, les religions les plus opposées, une population presque innombrable qu’il faut conduire à la fois avec le bras du soldat et la tête de l’administrateur. Sur ce monde d’Orient règne un gouverneur général plus richement appointé que bien des souverains. À côté de lui siègent quatre conseillers, choisis moitié par la compagnie des Indes, moitié par l’état, et payés chacun sur le pied de 250,000 francs ; au-dessous de lui sont les présidences de Madras, de Bombay et d’Agra ; celle-ci n’était naguère encore qu’une portion de la présidence du Bengale ; c’est maintenant un nouveau territoire conquis où l’Angleterre s’est fait 30 millions de sujets. Le Bengale, la plus ancienne de ces conquêtes anglaises, le théâtre des exploits de Robert Clive, qui a soumis là, mais à tout prix, 40 millions d’ames au sceptre britannique, le Bengale est la première des quatre présidences, et à ce titre il reste sous la direction immédiate du gouverneur général. Tout cet empire des Indes a sa hiérarchie à part, sous la double autorité de la couronne et de la compagnie de marchands qui l’a fondé ; il a ses états-majors, il a son budget qu’il faut mettre en équilibre, et ce problème, heureusement résolu pour les finances intérieures de la Grande-Bretagne, n’est pas encore près de l’être pour celles de ses colonies d’Asie. L’excédant continuel des dépenses sur les recettes dans le budget de l’Inde gêne de plus en plus tous les services indispensables pour maintenir en bon ordre cet édifice colossal ; c’est une ombre inquiétante qui se répand sur ces splendeurs, et trouble l’orgueil qu’elles inspirent. L’enquête à laquelle les chambres vont être conviées a pour but de ramener une économie mieux entendue dans l’ensemble d’une gestion si onéreuse. Il y a fort à faire.

Les derniers comptes des finances de l’Inde apportés au parlement embrassent les trois exercices qui finissent avec 1847-1848, et de ces états il résulte un déficit dont les élémens sont intéressans à connaître. Sur les quatre présidences, il en est deux, celles d’Agra et de Madras, dans lesquelles la recette l’emporte sur la dépense ; mais ou cet excédant est fictif, ou il est trop insignifiant pour couvrir les déficits bien autrement considérables auxquels les présidences du Bengale et de Bombay ne peuvent point faire face. Le déficit, qui était pour le Bengale en 1845-46 de 1,491,466 livres, s’est élevé en 1847-48 à 2,629,109 ; il irait à 3 millions en 1848-49 d’après les estimations qu’on peut dès à présent fournir. Il est vrai que c’est le Bengale qui subvient sur son propre revenu aux énormes dépenses du Scinde et des provinces du nord-ouest