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qu’ils accusent avec indignation. La foule veut qu’on la sauve plus terre à terre. Encore une fois, elle a dans ces temps-là l’instinct de l’impossible : il lui en a coûté assez cher pour l’acquérir ; elle l’a, elle s’y fie. Les rivaux ou turbulens ou illustres qui viennent se heurter contre son sang-froid, dans l’espoir de la ravir, n’y gagnent que de déconsidérer les pouvoirs au nom desquels ils la sollicitent, et qu’ils usent comme à plaisir en se vantant de les conserver. Nous ne saurions trop signaler ce péril du moment actuel, un péril qui ne gronde pas et n’éclate pas comme ces fameux périls des conspirations impérialistes ou royalistes, mais qui couve lentement au sein de la société comme un germe de mort, le péril presque infaillible de la dissolution des pouvoirs.

Il ne faut pas qu’on nous reproche de nous en prendre ainsi à tout le monde. Interrogez seulement le courant général de l’opinion commune ; vous serez aussitôt frappé de ce dégoût, de ce mécontentement universel qu’ont inspiré les récentes alternatives du drame politique ; chacun a presque cessé d’avoir son personnage favori. Il y avait jusqu’à ces derniers temps des fanatiques de l’assemblée nationale et des fanatiques de la présidence ; ceux qui n’étaient fanatiques d’aucune sorte tâchaient de rendre justice de tous les côtés, et cette justice leur était d’autant plus facile, qu’ils avaient à distribuer plutôt des sympathies que des blâmes. À l’heure qu’il est, c’est un curieux et triste embarras, pour les bonnes gens qui font le grand public, de savoir vers qui pencher pour être avec le meilleur droit et le plus sûr guide. Il s’est vu rarement de confusion plus singulière, et ce n’est pas l’un des traits les moins caractéristiques de cette situation bizarre où nous sommes. On se sent gêné par ses prédilections, parce qu’on ne peut se dissimuler qu’il y a des torts là où l’on n’en voudrait point voir. Les plus zélés défenseurs de M. Louis Bonaparte, nous parlons toujours, bien entendu, des ames sincères, ne se chargent plus de tout défendre ; les plus entêtés parlementaires renoncent à jurer sur l’infaillibilité du parlement. On se surprend à compter les péchés qui ont été commis de part et d’autre, et le dernier semblant toujours le plus gros, ce qui n’est peut-être qu’un effet d’optique, on souhaite au camp que l’on affectionne de n’avoir pas à sa charge ce dernier péché, dans l’espoir de lui sauver ainsi quelques dehors d’innocence.

L’innocence n’est pas heureusement une condition indispensable pour la vie politique. Aussi, quant à nous, sommes-nous d’avis qu’on y doit tenir bien moins de compte des fautes passées que du ferme propos de n’y plus revenir, et de la manière plus ou moins franche dont on ressent, dont on manifeste cette résolution salutaire. Le président de la république s’est honoré en plus d’une circonstance par cette sagesse avec laquelle il reconnaissait l’inconvénient d’une fausse position, et se retournait juste à temps pour la rendre bonne. Les épisodes trop saillans de sa jeunesse avaient pu faire craindre au pays qu’il ne fût trop enclin à se jeter tête baissée devant lui, sans jamais consentir à regarder un peu derrière. Les reviremens toujours opportuns auxquels il a su recourir depuis 1848 ont montré qu’il avait aussi sa prudence au service de sa témérité. C’est une des recommandations les plus efficaces par lesquelles l’homme d’à-présent ait effacé l’homme d’autrefois de la mémoire publique. Partout où le terrain a manqué sous ses pas, il s’en est aperçu, et il a reculé ; ce n’est pas une habileté commune. Le message du 31 octobre était un plan de campagne qui