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ne se rappeler que les tableaux, de ce Louis David qu’André Chénier avait salué « roi du savant pinceau, » avant d’accuser « d’atroce démence » ses actes politiques. Les Horaces et Brutus avaient paru depuis plusieurs années, et demeuraient l’objet d’une admiration enthousiaste ; les Sabines, impatiemment attendues, allaient bientôt être exposées. À ce moment, les jeunes artistes et le public regardaient David comme le restaurateur de l’école, comme un maître de premier ordre. Architecture, peinture, ameublemens, costumes, tout était soumis à sa domination absolue ; tout se produisait ou prétendait se produire à l’imitation de l’antique. On crut que la sécheresse des lignes et les profils maigres et aigus constituaient la sévérité de la forme. Sous prétexte de pureté attique, on ne tint nul compte, en construisant les édifices, de leur destination spéciale et du caractère qu’elle exigeait ; on ne peignit plus, dans les tableaux, que des statues coloriées, des corps que l’ame n’habitait pas ; on ne sculpta plus que des figures renouvelées des figures grecques ou romaines ; enfin, depuis Lebrun, jamais unité de direction ne régna si complètement sur le goût français. La gravure ne devait pas plus que les autres arts se soustraire au despotisme de David, seulement elle fut la première à secouer le joug. Avant le retour des Bourbons, c’est-à-dire à l’époque où le peintre de Marat devenu le premier peintre de l’empereur était encore dans la plénitude de son autorité, quelques graveurs avaient déjà traduit les maîtres italiens, dont les tableaux peuplaient notre musée, dans un style influencé par la manière ancienne plutôt que par la mode du moment. Le premier par le talent entre ces artistes nouveaux, M. Boucher-Desnoyers, songeait probablement moins aux œuvres contemporaines qu’à celles d’Audran et d’Édelinck, lorsqu’il travaillait à sa planche de la Belle Jardinière. De leur côté, Bervic et M. Tardieu, qui depuis long-temps avaient fait leurs preuves, continuaient à se montrer fidèles à la tradition des deux siècles précédens, l’un par sa manœuvre savante, l’autre par une méthode sévère d’exécution et une fermeté de burin héréditaires dans sa famille. Tous trois étaient de la descendance des maîtres, et leurs estampes, très injustement oubliées quelques années plus tard, lorsqu’on s’engoua de la manière anglaise, méritent certes de ne pas demeurer confondues avec les estampes froides et compassées produites en France sous le règne de Napoléon. Celles que l’on grava d’après David obtinrent à cette époque un succès d’à-propos en popularisant les compositions du peintre qu’on venait d’admirer au Louvre ; mais elles n’ont pu assurer aux graveurs une réputation durable. Qui songe à acheter aujourd’hui une de ces épreuves qu’on recherchait alors avec tant d’empressement ? Le peu de mérite des copies explique sans doute notre indifférence actuelle. Pourtant, ce mérite tût-il beaucoup plus grand, il ne suffirait probablement pas encore