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des tentes ou des cabanes de branchage. Ces embarras et les épisodes comiques auxquels ils donnent lieu ne diminuent en aucune façon le goût des Aréquipéniens pour les bains en plein vent.

Les principaux édifices d’Aréquipa sont des couvens et des églises, dont l’architecture est également lourde et bâtarde. C’est une triste nécessité pour un architecte que d’avoir à faire entrer dans le plan d’un édifice public des calculs de tremblement de terre. L’ordre auquel appartiennent les constructions de ce pays a pris naissance sous l’influence de cette terreur. On pourrait le nommer l’ordre des tremblemens de terre. Les églises sont, comme les couvens et les maisons des particuliers, voûtées à voûtes pleines ; les pilastres en sont renforcés, et les murs épais comme nos vieilles murailles féodales. Au-dessus de chaque autel s’élève un trophée de colonnes du travail le plus lourd et le plus tortillé, le tout entremêlé de saints en bois ou en pierre inévitablement dorés. Nulle part l’on n’a poussé aussi loin la manie des dorures et des paillettes. La robe de saint Luc est brodée d’or ; saint Matthieu, avec sa barbe pointue, son chapeau sur l’oreille et son pourpoint de velours rouge, est également couvert d’étoiles d’or du haut en bas ; dans l’église des Jésuites, on voit une adoration des mages dans laquelle la crèche, l’âne et la paille sont également dorés. Beaucoup de tableaux représentent des allégories : ainsi les vices personnifiés ou plutôt animalisés dévorent le cœur d’un galant caballero en habit à la française. La Colère, le Blasphème, l’Impiété, monstres de dimensions colossales, s’élancent de la bouche d’un autre caballero. La Volupté se joue sur le sein d’une courtisane couchée sur la mollesse. La volupté est représentée sous la figure d’une couleuvre ; le nom est au-dessous : Voluptas. Au milieu de cette exposition, j’espérais retrouver quelques tableaux de l’école espagnole ; mais je n’ai vu que des images peintes, dont la principale fabrique était jadis dans la ville de Cusco.

Lors de la révolution, les biens des couvens furent saisis par le gouvernement républicain et les bâtimens changés en casernes. Aujourd’hui les choses sont encore dans cet état. L’on paie à chaque moine une pension de 15 piastres par mois, et la plupart ne vivent plus en congrégations. Les couvens de femmes n’ont pas été supprimés ; ces établissemens sont trop dans les mœurs des Espagnols, monarchiques ou républicains. En changeant la forme de gouvernement, l’on n’a pas modifié les lois espagnoles : les majorats ont été conservés, et les filles de familles nobles, ne trouvant souvent pas à se marier, faute de dot, entrent au couvent. C’est en général contre leur vouloir, et parfois il en résulte des enlèvemens et du scandale. Je passais un jour sous un balcon d’Aréquipa, où une demi-douzaine de femmes nonchalamment assises se montraient aux passans sous prétexte de les regarder. Mon compagnon me dit « Remarquez-vous