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rouge plié carré sur la tête et le corsage lacé par devant des femmes de la campagne de Rome et les jupes de laine plissées à gros plis autour de la ceinture des paysannes tyroliennes.

Je vis, au milieu du marché, un chaland d’une singulière espèce passant d’un étalage à l’autre, il prenait sans se gêner les carottes, les choux, les melons qu’il trouvait à sa guise : c’était tout simplement un cheval sans selle ni licol, le cheval sur lequel monte le prêtre qui va porter le viatique aux malades. Tel est le respect religieux de ces pauvres gens pour l’église et tout ce qui en ressort, que l’animal porteur du prêtre dépositaire des saintes burettes est devenu lui-même un objet de vénération : une femme indienne n’oserait pas s’opposer à ce que le cheval de nuestro amo, « le cheval de notre maître, » comme ils appellent le bon Dieu, vînt brouter les fruits et les légumes de son étalage.

Arequipa est une petite ville, et l’on y sait fort vite les nouvelles à la main. L’arrivée d’un caballero français, qui voyageait par curiosité et ne vendait aucune sorte de pacotille, produisit une certaine sensation, et je fus comblé de prévenances. L’usage du pays est, pour les hommes, de venir faire la première visite à l’étranger qui arrive et de mettre leur maison à sa disposition ; les femmes qui reçoivent envoient leurs maris, leurs fils, leurs frères, ou leur majordome, si elles sont seules, vous porter leurs complimens et mettre également leur maison à la disposicion di uste, phrase consacrée. Je reçus donc des visites directes ou par procuration d’une partie de la société de l’endroit, Espagnols ou étrangers. Les commerçans étrangers ne forment pas une société à part ; plusieurs, les Anglais surtout, sont mariés à des femmes du pays. Le calme extérieur des femmes espagnoles, leur ennui de tout exercice violent qui n’est pas la danse ou le cheval, s’accordent suffisamment avec les mœurs casanières des négocians anglais, dont plussieurs finissent par s’établir à tout jamais au Pérou.

Bien que le commerce étranger soit l’ame de la population d’Aréquipa, la conduite prudente des négocians européens au milieu des troubles fréquens du Pérou, le crédit ouvert chez eux aux marchands de la ville et de la province, leurs mœurs honorables, suffisent à peine pour les faire tolérer par les gens du pays. Un Européen a beau se marier à une Aréquipénienne, c’est toujours un estrangero ; c’est un bon ou mauvais estrangero, mais il ne devient jamais complètement hijo del pais, fils du pays, un des leurs. Les Américains-Espagnols, ayant peu de produits indigènes à donner en retour des marchandises d’Europe, se voient forcés de payer en argent, et cet argent, une fois dans la caisse du négociant étranger, s’écoule immanquablement en Europe ; aussi a-t-on plusieurs fois présenté aux chambres péruviennes des pétitions tendant à expulser du pays les commerçans