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de café dans tous les ports ouverts, même dans ceux qui étaient exclusivement réservés jusque-là au cabotage haïtien, ce qui ruina la marine nationale. Mais voici le pire : des bâtimens américains chargés de farines signifièrent au gouvernement qu’ils ne débarqueraient ces farines qu’en échange de chargemens complets de café, qu’il fallut distraire bon gré, mal gré, de la masse à répartir, car la disette était imminente. Ceux des importateurs étrangers à qui la nature de leur commerce ne permettait pas de prendre Haïti par la famine réduisirent de plus en plus leurs opérations.

Quatrième mécompte. Quelques négocians, pressés d’expédier coûte que coûte leurs navires, consentirent à payer à la contrebande une prime qui s’élevait parfois jusqu’à 100 pour 100. Les spéculateurs gardèrent pour eux la moitié de cette prime et consacrèrent l’autre à acheter les employés du monopole. Par la seule force des choses, tout revenait à l’ancien état, à ces différences près, que l’état était frustré des droits de sortie, que la hausse des prix profitait non plus au producteur, mais à la concussion et à l’agiotage, et que cette hausse, n’étant en partie qu’artificielle, rompait l’équilibre des échanges et achevait de compromettre les relations commerciales avec l’extérieur.

Cinquième mécompte. L’importation étrangère n’accepte les gourdes du détaillant qu’avec la certitude de les passer immédiatement au producteur. Le surcroît d’entraves qui enrayait les opérations du commerce étranger avait donc naturellement ralenti la circulation de la gourde, laquelle se mit bientôt à fléchir de 3 pour 100 par jour. La disparition graduelle des deux principales recettes de l’état, en activant la fabrication de ce papier, contribuait encore à sa dépréciation. Les négocians refusèrent donc de livrer leurs marchandises aux prix fixés par la loi du monopole, car, s’ils avaient accepté dans le principe ces prix, c’est sous la condition implicite que la monnaie du pays ne changerait pas de valeur. « Peuple noir » recommença naturellement ses menaces contre la conspiration du capital ; les détaillans surtout, en leur qualité d’Haïtiens, étaient chaque jour insultés et frappés par la populace. La gourde ne s’en améliora pas, au contraire, et M. Salomon accéléra la crise en voulant l’arrêter.

Il commença par exclure de la répartition des produits monopolisés les négocians consignataires qui refuseraient de vendre aux prix du tarif, c’est-à-dire au-dessous du prix de revient, et, pour empêcher que la fraude éludât cette interdiction, il voulut astreindre les négocians à déposer leurs marchandises, au sortir de la douane, dans un local commun appartenant à l’état, sans garantie du gouvernement contre le feu, le vol ou l’émeute. Il rendit en outre passibles d’amendes et de saisie les détaillans qui refuseraient, de leur côté, de subir le tarif, et les visites domiciliaires, les confiscations, les coups de bâton, achevèrent de mettre à la raison l’infâme capital. J’en passe, et une année s’était