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l’un des objets de la loi était justement de rendre quelque fixité à la gourde en immobilisant les prix ; comme, d’autre part, le gouvernement, après avoir enlevé au commerce étranger les avantages de la libre concurrence, ne pouvait, sous peine de le mettre en fuite, lui en imposer les charges par une surélévation des prix fixés, rien ne fut changé au tarif. Le déficit de la récolte du café se traduisit ainsi pour le travail agricole, qu’on avait prétendu relever, par une perte nette[1].

Troisième mécompte. Sous le régime de la libre concurrence, certains capitaines de navires, à la faveur de relations plus anciennes ou plus étendues que celles de leurs rivaux, seraient parvenus, malgré le déficit de la récolte, à compléter leurs chargemens. Beaucoup d’autres navires auraient dû, il est vrai, repartir à vide ; mais leurs capitaines ou leurs consignataires n’auraient pu s’en prendre qu’à leur manque d’activité. Du moment, au contraire, où le gouvernement monopolisait la vente des cafés, il ne pouvait, sous peine d’encourir le reproche de partialité et d’éloigner à jamais du marché haïtien les importateurs éconduits, exclure de la répartition un seul de ces navires. La répartition fut donc faite au prorata de la valeur des marchandises introduites. Il résulta de ce fractionnement que tel bâtiment qui avait importé une valeur de 50 à 60,000 francs n’obtenait à grand’peine, et après de longs délais, qu’une contre-valeur de 5 à 6,000 francs : tout le monde fut mécontenté à la fois. Ceux des capitaines qui perdaient à cette innovation le bénéfice d’une longue habitude du marché haïtien, c’est-à-dire ceux-là même qu’il importait le plus de ne pas décourager, ceux-là s’en retournaient en jurant bien qu’on ne les reprendrait plus dans ce guêpier socialiste. Par des motifs analogues, les principaux consignataires étrangers écrivirent à leurs maisons de suspendre tout envoi. Les recettes de la douane, qui, par la cessation de l’émigration, avaient quelque peu repris, retombèrent bientôt de nouveau. Pour arrêter cette désertion commerciale, le gouvernement autorisa les bâtimens étrangers à aller, par voie d’escale, compléter leurs chargemens

  1. On objectera que dans l’hypothèse contraire, celle d’une récolte extraordinaire, cette fixité des prix eût, par compensation, soustrait le cultivateur aux chances de l’avilissement de la denrée. Il n’en est rien. N’apportant pas en produits la contre-valeur de cet excédant qu’ils n’auraient pu prévoir, forcés dès-lors de le payer en argent, ce qui est désavantageux, sachant en outre qu’un surcroît d’approvisionnemens eût amené la dépréciation sur les marchés consommateurs, les capitaines de navires étrangers n’auraient consenti à se charger du surplus de la récolte qu’à prix réduit. Le gouvernement haïtien se serait donc trouvé dans l’alternative, ou d’accorder cette réduction, ce qui eût réagi sur la masse entière de la denrée et rétabli pour le cultivateur les inconvéniens de la libre concurrence, ou de ne pas vendre, et, dans ce cas, nous ne savons pas à qui eût profité la surabondance de la récolte. Ajoutons que dix-neuf fois sur vingt cette surabondance eût été commune à toutes les Antilles, et que si le monopole haïtien avait, en pareille circonstance, prétendu maintenir ses prix, la concurrence des marchés libres lui eût infailliblement enlevé tous ses acheteurs.