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dans le parti ultra-noir rehaussaient par le luxe des formes la naïve impudence du fond. Nous avons sous les yeux plusieurs procès-verbaux[1] de ces commissions ; on y lit presque toujours cette phrase : « L’accusateur a exposé l’accusation et n’a produit aucun témoin, » et cette autre : « Le président a ordonné aux défenseurs qu’ils (sic) ne peuvent rien dire contre leur conscience ni contre le respect dû aux lois, et qu’ils doivent s’exprimer avec descence et modération, et que tout contrevenant sera condamné à une peine qui sera définie par la loi. » Les défenseurs comprennent à demi-mot, et, pour ne pas s’exposer à l’effet rétroactif de la loi future dont on les menace, ils entonnent d’une voix étranglée, et en guise de plaidoirie, les louanges du chef de l’état. Cette formalité remplie, l’accusateur persiste en appuyant (sic) son acte d’accusation, et en continuant, bien entendu, à ne produire aucun témoin à charge. On va aux voix, et le conseil, vu les articles, etc., etc., condamne invariablement lesdits accusés à la peine de mort, attendit que l’ordre public a été compromis. C’est dans ces formes que fut jugé et condamné, par exemple, le sénateur Édouard Hall. Autre trait non moins caractéristique : le texte cité à l’appui de la condamnation de ce sénateur, qui n’était pas militaire et qui n’avait été mis en jugement que sous prétexte de conspiration, était l’article 25 du code militaire, concernant non pas les conspirateurs, mais les soldats ou personnes attachées à l’armée qui auront, soit en commettant des actes non approuvés du gouvernement, soit en agissant contrairement à ses instructions, exposé des Haïtiens à éprouver des représailles. Il fallait un texte quelconque à ces terribles Brid’oisons, et celui-ci avait du moins le mérite de l’originalité et de l’imprévu.

D’autres fois, entre autres dans le procès du vieux Daublas, le président, pour ménager les scrupules de ses collègues, faisait de sa propre autorité une variante à la question sacramentelle, est-il constant que l’accusé, etc., et disait : « Est-il constant ou y a-t-il de (sic) probabilité ?… » Puis, à défaut de tout témoignage à charge, l’arrêt se basait sur des probabilités comme celles-ci : « Vu la situation des choses, considérant jusqu’à quelle extrémité se sont portés les hommes qui ont toujours cherché à nuire et à interrompre la marche du gouvernement en intriguant toujours pour venir à un échange du premier chef à chaque année (allusion au fétiche enfoui dans les jardins de la présidence), ce qui est très préjudiciable au pays ; considérant enfin que ces messieurs, ennemis de leur pays, ont prouvé leurs desseins par ce coup de pistolet que Céligny a porté au chef de l’état personnellement[2] (version vaudoux du coup de carabine tiré dans le palais du président sur

  1. Moniteur haïtien d’août et septembre 1848.
  2. Moniteur haïtien du 12 août 1848.