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qui, après avoir conquis et rançonné des villes, avait dédaigné d’échanger contre les premiers grades de l’armée le modeste titre de capitaine qu’il tenait de lui seul. En 1847, le commandant d’une frégate anglaise, menaçant de foudroyer la ville des Cayes si on lui refusait réparation d’une insulte faite à l’un de ses officiers par la bande de Pierre Noir, fut mis directement en rapport avec celui-ci, qui lui dit : « Vous voulez brûler la ville ? Par quel côté allez-vous commencer, pour que j’y travaille de l’autre ? La besogne ira plus vite. » C’est là encore un trait de la philosophie de Pierre Noir. — Un nommé Voltaire Castor, condamna aux travaux forcés pour vol, sous Boyer, et qui, du bagne, passa comme colonel dans l’état-major d’Accaau, était, après Pierre Noir et Jean Denis, le personnage le plus important des nouveaux auxiliaires de Soulouque. Pour réunir ceux-ci, Pierre Noir et Jean Denis leur avaient fait des promesses assez peu explicites ; mais on s’était compris à demi-mot. Soulouque lui-même avait craint de comprendre, car sa proclamation d’entrée en campagne disait : « Les propriétés sont respectées, voilà votre mot d’ordre ! » recommandation qui faisait plus d’honneur à la perspicacité de son excellence qu’à la moralité de ses défenseurs.

Pierre Noir commença par occuper la ville des Cayes, qui était fort tranquille, délivra les malfaiteurs détenus dans les prisons et mit les principaux mulâtres à la place des malfaiteurs. Quant à Jean Denis, il se porta sur Aquin et Cavaillon, occupés par le gros des rebelles au nombre de cinq ou six cents, et mit ceux-ci en déroute dès la première rencontre. La majeure partie des vaincus, composée de jaunes qui n’attendaient aucun quartier, s’enfuit dans les mornes, où beaucoup périrent plus tard. Cent quatre-vingt-neuf noirs de la classe aisée qui avaient pris parti pour les mulâtres, et qui déposèrent les armes, comptant que la vie du moins leur serait laissée en considération de leur couleur, furent garrottés, et, dans cet état, égorgés jusqu’au dernier, afin que fût accomplie cette parole d’Alccaau et de son prophète Nègue riche, cila-là mulâte. — Voltaire Castor en poignarda soixante et dix de sa propre main. Cette précaution des piquets était au moins inutile, car, aux formes près, les commissions militaires instituées dans les communes suspectes tuaient tout aussi vite et aussi sûrement. À Miragoane, sa première station, le président avait commencé par faire fusiller avec quelques autres son propre aide-de-camp, le colonel Desbrosses, administrateur de cette ville. Le même jour avaient été exécutés à Aquin le général de division Lelièvre, deux colonels et deux capitaines, et à Cavaillon le député Lamarre et le colonel Suire. Une trentaine d’autres condamnés étaient parvenus à fuir. Le général Lelièvre, désigné dans l’arrêt comme le chef de l’insurrection, était un vieillard paralytique : on le quilla comme on put pour le fusiller. En