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par deux rues parallèles sur le quai. Le commandant de la Danaïde, M. Jannin, qu’un avis expédié à la hâte par M. Raybaud avait trouvé en route, venait d’arriver et se tenait avec quatre embarcations armées d’obusiers et de pierriers, montées par tout le personnel disponible de la corvette, à quelques encâblures du bord. Au moment où M. Raybaud concertait avec lui les mesures à prendre pour protéger non-seulement les réfugiés du consulat de France, mais encore ceux du consulat d’Angleterre (M. Ussher en avait fait la demande), le commandant du port s’était présenté avec prière de la part du président de ne pas débarquer et l’assurance la plus positive que des mesures énergiques allaient être prises à l’instant pour protéger tant les consulats que les étrangers.

Similien somma les hommes de couleur de déposer les armes et de se retirer. Un coup de fusil partit des rangs de ceux-ci, tiré, nous a-t-on assuré, par un jeune mulâtre du parti Hérard. Le feu devint aussitôt général ; mais aux premières décharges de l’artillerie les mulâtres se débandèrent, laissant une quinzaine de morts sur le carreau, et de ce nombre M. Laudun, ancien ministre. La nuit, qui arrive presque instantanément sous cette latitude, permit à beaucoup de blessés de s’échapper et de regagner leurs maisons ; les autres furent achevés sur place. Le gros des fuyards s’était jeté à la mer : un grand nombre furent noyés ou assommés à coups d’aviron par les pêcheurs noirs ; quelques-uns, trouvés parmi les amarres des barques attachées au rivage, furent livrés aux soldats et massacrés en touchant terre. Le général Souffrant n’avait pas voulu négliger cette nouvelle occasion de se justifier auprès de Soulouque de tout soupçon de connivence avec « ces petits mulâtres. » Il déploya plus d’acharnement que Similien et Bellegarde dans cette boucherie de prisonniers et de blessés. Au moment où le feu s’engageait, le commandant Jannin, ne pouvant pas exposer inutilement ses hommes, avait amené ses embarcations au milieu des navires marchands ; mais elles étaient revenues à temps avec celles de ces navires pour saisir sur l’eau une cinquantaine de fugitifs. Dans le nombre se trouvèrent MM. Féry et Detré, anciens ministres, et le sénateur Auguste Élie. Tous furent transportés à bord de trois de nos navires de commerce et de la corvette. Pendant que notre consul revenait de toute la vitesse de son cheval vers les embarcations, qu’au bruit de la fusillade il avait cru d’abord assaillies, on tira sur lui deux coups de feu mais sans l’avoir reconnu, à cause de l’obscurité.

La nuit se passa en angoisses. Les consulats, celui de France surtout, où s’étaient jetés le plus grand nombre de réfugiés, était rempli de gémissemens : de nouveaux proscrits y affluaient à chaque instant, et les femmes, les mères, les sœurs apprenaient d’eux les pertes qu’elles avaient éprouvées. L’encombrement devint tel que M. Raybaud dut