Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/331

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre les pétitionnaires, on ne peut trop dire les rebelles, et ce n’est qu’après un nouveau délai de vingt-quatre heures qu’il se décida à faire tirer le canon d’alarme. En arrivant dans la cour du palais, les fonctionnaires civils reçurent l’avis que l’insurrection marchait sur Port-au-Prince. Cette nouvelle n’avait pas le moindre fondement : était-ce un prétexte préparé par Soulouque ? n’était-ce qu’une tactique de Similien et consorts pour vaincre les dernières hésitations de celui-ci ?

L’ancien ministre de l’intérieur, M. Céligny Ardouin, qui avait été personnellement mandé au palais, arriva des premiers auprès du président. Celui-ci l’accueillit en l’accablant d’injures, l’accusa d’être l’ame de la conspiration mulâtre, et lui ordonna de se rendre aux arrêts. Dans l’état de fureur où était Soulouque, tout éclaircissement devenait impossible, et le général remit silencieusement son épée à Bellegarde, qu’il suivit. En sortant des appartemens de Soulouque, il fut assailli par quelques officiers subalternes qui voulurent lui arracher ses épaulettes. Dans cette courte lutte, deux coups de carabine furent tirés presque à bout portant, mais sans l’atteindre, sur le général, qui parvint à gagner, sous une pluie de coups de sabre, la chambre à coucher du président, où nous l’avons laissé, couvert d’affreuses blessures, aux prises avec les fureurs de Soulouque.

Ce n’était que le prélude. À la double détonation partie de l’intérieur, les troupes rangées près de l’entrée avaient fait brusquement volte-face et tiré sur la foule des généraux, officiers et fonctionnaires civils, qui occupait le péristyle. Les soldats croyaient, a-t-on dit depuis, qu’on venait d’attenter à la vie du président ; mais comment se faisait-il que ce jour-là, contrairement à l’usage, leurs armes se trouvassent chargées ? Comment expliquer surtout que, de toutes les troupes de la garde rangée en bataille autour du palais, le corps des chasseurs, celui justement qui prend toujours position aux abords du péristyle, eût seul les armes chargées ? La probabilité d’un guet-apens ressort plus clairement encore de l’étrange à-propos avec lequel des ordres mystérieux avaient fait fermer la grille, pour couper la retraite aux fuyards. Si, parmi les morts et les blessés qui jonchaient le péristyle, il y avait des noirs et des mulâtres, cela prouvait à la rigueur une chose, c’est que Similien avait adopté à l’égard du mot mulâtre la définition de frère Joseph.

Le gros de la garde avait fait, je l’ai dit, irruption dans le palais. Après quelques instans seulement, soit qu’il crût le massacre terminé, soit qu’au bruit de plus en plus rapproché des pas et des cris de cette meute humaine il craignît de la voir forcer l’entrée de sa chambre, le président se décida à se montrer aux soldats, qu’il ne parvint à contenir qu’avec des efforts inouis et aidé de quelques généraux noirs.