Page:Revue des Deux Mondes - 1851 - tome 9.djvu/316

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

portait ses amours, jouait de l’autre avec sa badine, et gardait le silence. A la fin, il poussa un gros soupir, et, regardant Lidia d’un air tendre :

— Est-ce que cette nature, qui commence à s’éveiller, lui dit-il, ce zéphyr qui vient de Sicile, ces parfum du printemps ne parlent point à votre cœur, belle Lidia ?

— Si fait, répondit la jeune veuve ; la nature me dit beaucoup de jolies choses ; mais je vous avertis qu’elle ne me parle pas de vous dans ce moment, et sans doute vous n’avez déjà plus envie de savoir à quoi je pense.

— Vous ne me rendez pas justice, reprit Geronimo. Quelles que soient vos réflexions je serais trop heureux de les connaître.

— Afin de pouvoir ensuite me communiquer les vôtres, n’est-ce pas ? Eh bien ! cela est inutile; je devine tout ce que vous grillez de me dire, et je vais vous-le répéter mot à mot. Voici ce que c’est : O divine Lidia ! regardez ce ciel pur, ces rochers où l’aloës et le figuier d’Inde se pressent amoureusement l’un contre l’autre; écoutez le murmure du vent dans les rameaux de ce chêne vert qui vous invite à vous asseoir à son ombre, les voix qui s’élèvent du sein de la mer, où les dorades folâtrent au soleil, ces insectes qui bourdonnent sous l’herbe et la mousse ; tout cela veut dire que don Geronimo se meurt d’amour pour vous, et qu’il faut vous dépêcher de lui donner votre cœur.

— Vous voulez me décourager par des plaisanteries, dit Geronimo, mais vous n’avez point deviné à quoi je songe; il y a bien autre chose encore.

— Alors vous me préparez une tirade de reproches où vous me rappellerez obligeamment les petits services que vous m’avez rendus, les petits martyres que je vous fais endurer, les dangers que vous avez courus pour mes beaux yeux, et, après avoir appuyé sur l’horreur de l’ingratitude, vous ajouterez avec douceur que vous me pardonnerez ces torts affreux, si je consens à vous appeler du nom de très heureux époux. Je sais tout cela par cœur, et, au lieu d’en écouter une nouvelle répétition, je préfère regarder les lézards qui courent devant nous, les oreilles de mon ciuccio, et l’ombre de votre chapeau à cornes.

— Comme il vous plaira ; mais vous ne devinez pas à quoi je songe.

— Je m’en passerai bien.

— J’attendrai donc que vous soyez en disposition de m’écouter, car ce sont des choses qu’il faut que vous sachiez. J’aurais souhaité vous les dire ici, dans l’espoir de vous trouver disposée à l’indulgence par cette belle journée. Ce sera pour une autre fois.

— Parlez, seigneur Geronimo ; j’ai le loisir de vous entendre, et mon indulgence égalera la docilité de mon âne.