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premiers. Il est certain que notre abbé se trouva, un beau jour, débarrassé de tous ses concurrens, non par habileté ni par intrigue, mais grâce à sa petite dose de courage et à la protection spéciale de la Madone, qui voulait le mener dans une bonne voie. Les deux beaux-esprits, n’ayant reçu que des réponses ironiques et décourageantes à leurs belles phrases, jugèrent Lidia trop insensible aux beautés de l’éloquence pour mériter leurs hommages. Les deux don Limone, profondément humiliés depuis l’affront du Café de l’Europe, pensant se mettre en garde contre le ridicule, se permirent des plaisanteries sur les façons de Lidia et les airs bourgeois de la tante. De bonne ames ne manquèrent point de répéter ces propos et de les envenimer. La jeune veuve les apprit et ferma sa porte aux mauvais plaisans, si bien que de tant d’amoureux il ne vint plus à Saint-Jean-Teduccio que notre petit abbé, toujours d’humeur douce et complaisante, point susceptible, et d’autant mieux reçu qu’il était le dernier et le plus fidèle. Lidia le traitait avec familiarité, comme un ami sans conséquence; mais le lampiste et la tante ne doutaient pas que l’amitié ne dût bientôt donner naissance à un sentiment plus tendre.

En attendant, Geronimo passait les journées près de le jeune veuve. Il dînait souvent à la maison, jouait aux cartes avec les grands parens, menait la famille aux spectacles et aux fêtes, et se trouvait invité à toutes les parties de plaisir. Il jouissait, d’ailleurs, des privilèges que sa position comporte en Italie, et dont les plus beaux consistent à porter en public l’ombrelle, le châle de la dame, et généralement toutes sortes de paquets, à faire les commissions et le déjeuner du chat, préserver madame des courans d’air, appeler les cochers, payer les rafraîchissemens et gronder les barcarols.

L’oncle de notre abbé, au moment du départ de son neveu pour Naples, avait sans doute exagéré, dans ses avis, les dangers qui environnent un jeune homme au milieu du tourbillon de cette capitale. Son point de vue de vieillard prudent et de Biscéliais avait grossi les objets ; cependant ses paroles sévères sur les femmes n’étaient pas absolument fausses. Les Napolitaines sont intelligentes, énergiques, douées d’une présence d’esprit peu commune, mais elles sont aussi volontaires, railleuses, impitoyables à ceux qui leur déplaisent, hostiles dans le propos avec ceux qu’elles aiment, comme si elles leur savaient mauvais grés d’avoir su se faire préférer. Le goût du commandement et de la domination en toutes choses donne la clé de leur caractère qui trompe le moins souvent, et c’est peut-être par tradition sinon par nature, que la plupart des hommes de ce pays adoptent un langage moitié sérieux et moitié comique, dont ils se font un moyen d’éveiller la coquetterie et de battre en retraite, en cas d’échec. Le bon Geronimo était de Bisceglia. Il ne savait point prendre le ton léger des