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homme m’a insulté devant des femmes, devant l’aimable Lidia, qui a pris en vain ma défense. Il faut qu’un de nous deux enfonce son épée jusqu’à la garde dans le cœur de l’autre. Oh! ce sera un horrible massacre !

— A votre place, je ne me battrais point, dit le petit domestique.

— Tu ne comprends pas, dans ton innocence, les règles du point d’honneur, mon ami. Si tu avais vu le spectacle effroyable de la colère où m’avaient mis les insultes de mon adversaire, tu ne chercherais plus à me détourner de me battre. A moi, démons et furies ! soufflez vos poisons dans mon ame ! entretenez le feu de ma rage et de mon indignation !

— Ne criez pas ainsi, patron, dit le gamin en passant de l’autre côté de la table, vous me faites mourir de peur.

Geronimo, exalté par la frayeur de son domestique, redoubla ses cris et ses imprécations. Il se promena de long en large en défiant son adversaire, et porta dans les murailles des bottes énergiques avec sa canne.

— Ne tremble pas, mon fils, reprit-il ensuite avec majesté ; retire-toi, et n’oublie pas de m’éveiller demain au point du jour. Mes témoins viendront au lever de ce dernier soleil de ma vie. Je vais écrire mon testament, et je te laisserai quelque chose, si l’état de mes affaires le permet, car j’ai des dettes. Tu feras dire une messe pour le repos de mon ame. Va, je te donne, en attendant, ma bénédiction.

— Patron, je vous obéis; mais est-ce que les lois permettent à des chrétiens de se massacrer entre eux?

— Toutes les lois divines et humaines s’y opposent, l’honneur seul demande des flots de sang. Voilà le tragique de cette infernale aventure.

— Merci, patron; c’est tout ce que je voulais savoir. Ah ! que je suis aise de n’être qu’un pauvret trop au-dessous de ce bel honneur pour lui donner des flots de mon sang !

Antonietto se retira dans sa chambrette, mit à la hâte sa cravate noire des dimanches et son bonnet de laine rouge, et couvrit ses épaules nues d’un vieux collet de carrick jaune qui lui servait de manteau.

— Je t’empêcherai bien de te faire tuer, vilain fou de patron, disait-il en courant comme un lièvre dans les rues de Naples.

Il arriva tout essoufflé au bureau de la polizia, le rusé Antonietto, et il se glissa, comme un lézard, au milieu d’un groupe de pêcheurs et de cochers de fiacre en contravention. Un autre enfant de son âge grattait à la porte de M. le secrétaire.

— Qu’est-ce que tu viens faire ici? dit-il à cet enfant.

— Une dénonciation.