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d’ailleurs, en donnant ma démission, je puis déposer à la minute collet et rabat. Je m’en dépouillerai avec plaisir pour vous apprendre qui je suis.

— Je vous donne cinq minutes pour rétracter vos paroles, dit le Calabrais.

— Il est trop tard, répondit l’abbé. Allez au diable et ne m’échauffez pas davantage, car je me sens assez de colère pour tuer dix fanfarons comme vous.

— Demain vous aurez sans doute réfléchi, et vous deviendrez plus sage. Adieu, seigneur Geronimo.

Don Giacomo salua les dames, rabattit son chapeau sur ses yeux, et fit une sortie de théâtre.

— Il a baissé le ton, dit une voisine. C’est un guapo.

— N’en doutez pas! s’écria Lidia, c’est un guapo. Vous le ferez mettre à plat ventre, si vous le poussez.

Guapo ou non, dit l’abbé hors de lui, je le mènerai tambour battant. Ah ! il m’insulte, et il veut encore des excuses ! Je me ferai couper en cent morceaux avant que ma bouche prononce une seule excuse.

— Calmez-vous, dit la tante Filippa. Votre ennemi est parti.

Cette remarque de la tante apaisa la fureur de notre abbé, mais elle diminua d’autant son courage. Le pauvre garçon avait besoin de son exaspération pour affronter l’idée d’un duel. Jamais son esprit n’avait encore imaginé que le destin le pût conduire à une pareille extrémité. En quittant la compagnie, Geronimo prit à pied le chemin de Naples pour réfléchir à la terrible affaire qui lui tombait sur les bras. Il se voyait rapporté chez lui sur une civière avec un trou dans le corps, et le paysage de Capo-di-Monte, avec ses cyprès et ses tombes, formait un horizon lugubre au tableau. En repassant dans sa tête l’histoire de ses amours, il se demanda s’il n’eût pas mieux valu pour lui s’être donné une entorse la veille de l’Assomption que d’aller à Santa-Maria-del-Carmine. Aucun drame, aucune tragédie ne lui paraissait égaler en horreur sa situation présente, et dans ce moment un sermon sur le danger des passions l’eût touché profondément. Les paroles de son vieil oncle lui revenaient à la mémoire : « Garde-toi des don Limone et des femmes napolitaines! » Un coup d’épée est bientôt reçu; adieu les douceurs du bénéfice, la tranquillité de la vie ecclésiastique, les parties de scoppa, la musique, les limonades, l’eau fraîche de la fontaine du Lion, les jouissances du désœuvrement, la perspective d’un avenir aisé, d’une carrière sûre et lucrative! La mort pouvait confisquer tout cela, pour un mot imprudent; mais aussi, à l’idée de céder la place à un matamore et de renoncer à sa Lidia, la jalousie éveillait dans son ame des mouvemens plus impétueux que le courage même.

— Plutôt la mort! s’écriait Geronimo en gesticulant comme un possédé sur le pont de la Madeleine. Eh! n’ai-je pas déjà voulu mourir?