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auparavant et accusés d’avoir été de cette bande qui me fit prisonnier. Mes camarades, me croyant mort, avaient d’abord voulu les faire fusiller ; mais, espérant ensuite que je vivais peut-être encore, et craignant pour moi les représailles des Hongrois, ils les avaient fait garder dans un cachot. Ces pauvres diables étaient pâles et décharnés : je reconnus l’un d’entre eux, mais j’étais trop heureux pour vouloir me venger ; ils ne méritaient pas la mort, l’officier seul était coupable ; j’ordonnai de les mettre en liberté. Alors ces pauvres gens se jetèrent à genoux et m’embrassèrent les pieds ; puis, levant vers moi leurs yeux pleins de larmes : « Seigneur, seigneur, si vous saviez tout ce que nous avons souffert, dirent-ils d’une voix déchirante ! — Mes amis, leur répondis-je, j’en sais quelque chose. » Je leur donnai de l’argent, et ordonnai qu’on les menât manger dans une auberge.

Le 15 septembre, je partis de Semlin en bateau à vapeur, et remontai la Save ; j’arrivai à Graetz : long-temps on m’y avait cru mort ; cependant l’on s’était efforcé d’entretenir ma mère dans l’espérance qu’elle me reverrait. D’abord, lorsque j’avais disparu, on m’avait cru noyé dans le Danube, ou tué à Palanka ; l’on avait ensuite su que j’étais à Peterwardein, puis peu après que j’avais été condamné, avec mes quatre compagnons, et des gens de Neusatz, échappés à l’incendie, ayant assuré que j’étais fusillé, ma famille et mes camarades de l’armée perdirent l’espérance de me revoir. Quelques jours après mon arrivée à Graetz, je trouvai sur ma table les carreaux de la fenêtre de ma casemate : un ami, qui, après la reddition de Peterwardein, s’était fait montrer le cachot où j’avais été enfermé, les avait fait enlever, et m’envoyait ce souvenir de mes mauvais jours.

L’empereur m’ayant nommé major, j’allai à Vienne pour le remercier. Je ne l’avais pas vu depuis le temps où nos acclamations le saluaient sur les champs de bataille de l’Italie. L’empereur daigna me serrer la main avec bonté et m’adressa des paroles qui me remplirent d’enthousiasme ; je fus heureux de ce que j’avais souffert, et je pensai avec orgueil à nos combats, à cette campagne de Hongrie, qui avait abouti, à travers tant de luttes pénibles, à un si glorieux dénouement.


GEORGE DE PIMODAN.