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dans l’après-midi ou pour le jour suivant ; ce ne fut que le lendemain, 28 juillet au soir, lorsque le prévôt m’eut dit que l’exécution avait eu lieu par suite de l’ordre venu de Debreczin, que je compris que j’étais hors de danger. La présence du ban devant Neusatz avait retardé l’arrivée du courrier à Debreczin, et, lorsque la sentence fut remise à Georgey pour qu’il la sanctionnât, l’armée impériale s’avançait partout triomphante au cœur de la Hongrie, sous la conduite du général Haynau. Soit que Georgey ait été poussé par la pitié, soit qu’il eût craint pour l’avenir dans ce moment où la cause hongroise paraissait perdue, il ne voulut pas signer la sentence qui condamnait un officier.

Mes trois compagnons sont morts courageusement ; ils étaient soldats de l’empereur. Les années qu’ils avaient passées dans l’armée leur avaient donné ce fier orgueil de caste qui jamais ne se dément : leur mort héroïque a témoigné de leur foi.

Enfin, le 23 août, le prévôt vint me dire qu’il avait ordre de me conduire au commandant de la forteresse. Nous traversâmes la place. Je ne pouvais assez admirer le ciel bleu et les arbres de l’esplanade. Le commandant marchait d’un air pensif dans sa chambre ; son visage était pâle et maigre, et son regard sombre. Je le saluai. « Les chances de la guerre ont tourné contre nous, me dit-il ; la cause de la Hongrie est une cause perdue, l’armée de Georgey n’existe plus. Il a été forcé de déposer les armes ; voici une lettre de lui que vient de m’apporter un parlementaire ; il m’engage à rendre la forteresse et m’ordonne, sur la demande du général Haynau, de vous mettre en liberté. Vous êtes libre, mais restez dans votre casemate ; mes soldats sont exaspérés, je ne réponds de rien. » Je lui demandai s’il n’était rien arrivé au ban et si son armée avait livré quelque bataille depuis la fin de mai ; il loua la bravoure de nos chefs et de nos troupes et parla du combat d’Hagyes, où les Hongrois avaient été vainqueurs, avec une modestie qui m’étonna ; puis, avec une affectation de politesse, il me rendit ma montre, une bague à cachet et 600 florins qui m’avaient été enlevés lorsque je fus fait prisonnier. « Vous aviez un fort beau sabre, continua-t-il, je regrette de ne pouvoir vous le rendre ; le major Bozo, auquel je l’avais confié, est en ce moment à Komorn[1] ; acceptez celui-ci à la place. » Et il me tendit un de ses sabres. Au bout d’un moment, il dit en soupirant : « Les Français nous ont abandonnés, nous avions compté sur eux ! — Aviez-vous quelque promesse secrète ? lui demandais-je. — Non, répondit-il, mais l’attitude révolutionnaire (revolutionnaire Stellung) que la France a prise en Europe n’était-elle pas un gage pour nous, une promesse qu’elle nous soutiendrait ? » Il me parla ensuite long-temps d’Isaszeg et de Tapio-Bicske ; il ne voulait pas croire

  1. Après la capitulation de Komorn, le major Bozo m’a renvoyé ce sabre.