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hongrois reconnut sans doute le général Ottinger à son uniforme et se précipita sur lui le sabre haut ; mais l’ordonnance du général fendit la tête au Hongrois ; le sang jaillit jusque sur Ottinger. Après quelques minutes, les hussards hongrois, culbutés par les cuirassiers, se sauvèrent au galop sur la plaine dans la direction de Csinkota. Ottinger leur envoya quelques volées de boulets et les fit poursuivre ; mais, le ban lui ayant donné l’ordre de s’arrêter, il fit sonner le rappel et reformer les escadrons.

Je m’arrêtai pour regarder les morts et juger combien d’hommes l’ennemi avait laissés sur la place ; je vis à quelques pas de moi le corps de cet officier qui s’était élancé sur le général Ottinger : c’était un beau jeune homme ; ses cheveux blonds étaient souillés de sang et collés à son visage ; il tenait encore son sabre dans sa main. Un de nos cuirassiers mit pied à terre ; je crus qu’il voulait voir s’il vivait encore : « Il est bien mort, lui dis-je, c’était un brave soldat ! c’est dommage. — Ma foi oui, me répondit le cuirassier en le retournant pour tâter les poches du mort ; c’est ma foi dommage ! il n’a pas seulement de montre ! »

Le 16, les Hongrois attaquèrent avec une grande impétuosité les avant-postes du général Schlick ; mais, le ban s’étant porté rapidement avec quelques troupes sur les hauteurs du Steinbruch, ils commencèrent à se retirer ; ils venaient ainsi chaque jour s’assurer si nous étions encore devant Pesth, car ils craignaient que le prince, laissant quelques brigades devant cette ville, ne marchât vers Gran avec le gros de l’armée, n’y passât le Danube et n’allât se réunir au corps du général Wohlgemuth, sur la rive droite de la Gran, pour arrêter Georgey dans sa marche sur Komorn. Nous avions à Pesth seize brigades et deux cent dix pièces de canon ; le corps hongrois d’Aulich n’avait pas plus de dix mille hommes ; si, laissant devant Pesth quatre brigades et quarante-huit canons, nous nous fussions portés, avec les douze autres brigades et cent soixante-deux canons, sur la rive droite de la Gran par la route directe d’Ofen à Gran, réunis ainsi aux quatre brigades que commandait le général Wohlgemuth, nous aurions pu tenir cette ligne avec des forces supérieures à celles de Georgey, et il n’aurait pu marcher sur Komorn sans nous livrer bataille : peut-être aurait-on remis ainsi en question l’issue de la campagne, qui semblait perdue pour nous ; mais les heures précieuses s’écoulèrent, entraînant peu à peu cette dernière espérance, et ce plan dont il avait été question un moment fut bientôt abandonné.

On était arrivé à ce moment critique de la campagne, quand le prince remit au général Welden le commandement des troupes. Le feld-maréchal Windischgraetz emporta les regrets de toute l’armée ; le sort des armes lui était contraire, mais on l’avait vu prodiguer sa vie sur