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nuit était sombre, mais autour du village la clarté était si grande que l’on distinguait le clocher de l’église, qui, percé par de nombreux boulets, penchait et semblait près de s’écrouler.

Plusieurs des nôtres avaient péri ; le major Pessics des Ottochaner, deux fois blessé au combat de Tapio-Bicske, n’avait pas voulu se séparer de sa troupe, le ban l’avait félicité de sa bravoure, et maintenant Pessics était étendu sans vie sur le champ de bataille. Ces félicitations, qui font les héros, donnent souvent la mort. Qui peut dire combien de braves s’exposent sous les yeux d’un chef aimé pour mériter quelque flatteuse parole ! Souvent, en Italie, lorsque le jeune archiduc devenu l’empereur François-Joseph arrivait au moment d’une attaque, j’ai vu des officiers s’élancer en avant et braver la mort pour fixer son attention ; le péril n’était rien devant l’honneur de mériter un de ses regards : s’ils mouraient sous ses yeux, la mort leur semblait douce !

Le lendemain, 7 avril, au matin, notre corps et celui du général. Schlick se mirent en marche sur deux colonnes pour se retirer sur Pesth, et le second corps, qui, pendant la journée du 6, avait été rappelé de Waitzen à Gödöllö, reçut l’ordre de retourner à Waitzen. La série d’opérations qui avait succédé à la bataille de Kapolna venait de se terminer. Nous allions rentrer à Pesth.


III

Sur les deux heures, au moment où déjà nous apercevions les églises de Pesth, le prince Windischgraetz fit arrêter les colonnes et les déploya sur les hauteurs de Mogyoröd dans une position avantageuse où elles pouvaient accepter la bataille, si l’armée hongroise, qui, comme nous le croyions, nous suivait tout entière dans notre retraite sur Pesth venait nous attaquer ; les généraux allèrent saluer le prince et prendre ses ordres. Lorsque le ban passa devant le corps du général Schlick des cris de joie et de nombreuses acclamations témoignèrent de l’amour que les soldats lui portaient, et lorsque le général Schlick, l’accompagnant ; arriva au galop devant nos troupes, les soldats de notre corps, se piquant de courtoisie militaire, firent à leur tour retentir l’air de nombreux vivats. Notre armée s’était déployée sur une ligne imposante, tous les regards se tournaient vers l’horizon, attendant l’ennemi, espérant le combat ; mais les heures s’écoulèrent sans que l’armée hongroise parût. Le prince réunit alors dans une auberge au bord de la route les chefs de corps, leurs chefs d’état-major, et tint un conseil de guerre. Cette heure était solennelle ; le sort de la campagne dépendait de la décision qui allait être prise. Deux partis se formèrent dans le conseil : quelques généraux, jugeant habilement notre situation, proposèrent de marcher sur Waitzen, d’y concentrer toutes nos