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aussitôt l’ordre de marche de la colonne ; nous retournâmes sur nos pas ; puis, laissant à gauche la route que nous avions suivie le matin, nous primes le chemin d’Isaszeg et arrivâmes à onze heures du soir au village de Dany. Le ban fut obligé de s’y arrêter avec son corps ; les hommes et les chevaux n’avaient rien mangé depuis le matin ; nous venions de marcher ainsi pendant trois jours, depuis le lever du soleil jusqu’à une heure avancée de la nuit, sans qu’on pût faire halte pour laisser aux troupes le temps de prendre leurs repas. Nous traînions après nous des bestiaux ; mais les soldats, à peine arrivés, épuisés de fatigue, s’étendaient sur la terre pour dormir. Il fallait les forcer à tuer les bœufs et à les dépecer pour cuire la soupe. Les soldats de cavalerie cependant, poussés par leur amour pour leurs chevaux, couraient une partie de la nuit pour chercher du fourrage ; ils enlevaient au besoin le chaume des maisons. Dany était un gros village. Le blé, le foin, le lard, tout ce qui pouvait servir de nourriture aux hommes ou aux chevaux fut bientôt pillé. Le lard cru a été d’une grande ressource pour notre armée pendant cette campagne : le morceau de lard qui se trouvait alors dans la poche de chaque soldat le nourrissait tout un jour ; sans lui, nos troupes n’auraient jamais pu faire tant de marches forcées, et le manque de vivres aurait, dans plusieurs occasions, retardé l’exécution de mouvemens habilement combinés. Pendant ces marches rapides, officiers et soldats, le ban lui-même, n’eurent souvent pas d’autre nourriture.

Le lendemain matin, 6 avril, nous nous remîmes en marche. Le chemin traversait une grande forêt ; au bout de quelques heures, le ban fit arrêter la colonne pour laisser reposer les troupes. Pendant cette halte, un écureuil vint à passer ; voilà les soldats qui se débandent et se mettent à courir après lui en poussant de grands cris et en frappant les arbres pour l’étourdir. Dès qu’il tombait, tous se jetaient sur lui ; mais l’écureuil se sauvait et courait de plus belle. Les officiers poursuivaient les soldats, les bataillons voisins venaient prendre part à la chasse ; enfin il fallut que les officiers du ban s’élançassent à cheval pour ramener les gens : notre corps allait avoir à soutenir l’effort de toute l’armée hongroise.

Pour nous confirmer dans la pensée qu’il voulait marcher sur Pesth, Georgey avait résolu de porter toutes ses forces sur notre droite, au sud de notre position ; il voulait, par cette manœuvre, nous obliger à rappeler à Gödöllö notre second corps, qui était à Waitzen, gardant notre gauche, et à lui laisser ainsi libre le chemin de Komorn par Waitzen. Cette manœuvre lui réussît, car le 6 le prince, voyant toutes les forces des Hongrois se porter contre sa droite, craignit d’être tourné de ce côté et de voir l’armée ennemie lui couper la retraite sur Pesth ; il envoya au second corps l’ordre de quitter Waitzen et de descendre à Gödöllö pour se réunir à lui.