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douze sur une élévation de terrain pour arrêter l’ennemi, s’il poussait trop vivement notre arrière-garde, et il ne suspendit point la marche de la colonne. Un officier arriva bientôt apportant la nouvelle que la brigade Rastich était attaquée. Le ban réitéra l’ordre de ne point laisser le combat s’engager et de presser la marche ; une demi-heure s’était écoulée ; la fumée, le bruit du canon redoublaient, mais sans se rapprocher. De la hauteur où étaient rangées nos pièces de douze, nous regardions la flamme des canons pour juger du combat ; le feu augmentait, diminuait, semblait reculer et avancer ; bientôt les coups de canon se suivirent comme le roulement du tonnerre. Le ban ordonna alors à tout son corps de s’arrêter et de prendre position ; il fit revenir la cavalerie du général Ottinger, et la rangea sur plusieurs lignes devant Setzö. Le général Rastich n’envoyait aucunes nouvelles du combat. Le ban marchait à grands pas impatient et agité ; il m’appela : « Allez à fond de train, me dit-il, trouver le général Rastich : qu’il cesse le combat et me rejoigne ; guidez-vous d’après le feu du canon, et restez près de lui. »

Pendant que notre colonne s’était avancée vers Setzö, les corps réunis de Klapka et de Damjanich, forts de dix-huit mille hommes, avaient marché parallèlement à nous à une distance d’une lieue et demie sur notre droite. Klapka, ayant appris par ses éclaireurs que notre arrière-garde avait fait halte à Tapio-Bicske, avait résolu d’aller nous attaquer ; il avait poussé en avant la tête et la queue de sa colonne, forte de huit mille hommes, et formé ainsi un grand croissant qui devait enfermer entre ses pointes et le ruisseau de Tapio la brigade Rastich ; puis, croyant que deux faibles bataillons seulement se trouvaient dans le village et pensant qu’il leur ferait mettre bas les armes sans engager un combat sérieux, il avait fait avancer son artillerie, rangé ses pièces à une demi-portée de boulet du village, et lancé sur les hommes de Rastich quelques volées d’obus. Nos gens, surpris au repos, avaient saisi leurs fusils ; les braves Ottochaner (régiment-frontière d’Ottochatz) avaient couru sur les canons, tué les artilleurs à coups de baïonnette, et retourné les pièces contre l’ennemi ; les Hongrois s’étaient retirés en désordre. Le général Rastich aurait alors dû cesser le combat et rejoindre le ban ; mais les soldats, entraînés par leur ardeur, n’écoutèrent pas la voix de leurs chefs, et poursuivirent l’ennemi dans la direction de Farmos. Damjanich accourut aussitôt avec dix mille hommes au secours de Klapka, et j’arrivai sur la place du combat au moment où la brigade Rastich, écrasée par son feu, allait être poussée tout entière dans les marécages de Tapio. Les balles et la mitraille volaient de toutes parts ; deux bataillons soutenaient seuls tout l’effort des Hongrois. La terre autour d’eux était couverte de lignes de morts et de blessés. Mon ami le major baron Riedesel, de Bandérial-Hussards, était étendu