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beaucoup à la métaphysique. La substance de la question pour la Prusse, c’est de garder à tout prix sa place à part en Allemagne, c’est de ne pas laisser supprimer ce dualisme auquel elle s’est rabattue quand elle a dû renoncer à l’espoir de s’ériger en domination unitaire. Elle se console assez aisément d’avoir vu les accidens tourner contre elle, parce qu’elle se persuade que, dans la substance même de sa cause, on ne lui fera rien lâcher. Le pacte de 1815 a été dissous : l’Autriche veut qu’il n’ait jamais cessé d’exister ; la Prusse, qui s’en est fabriqué un autre, se refuse à prendre l’ancien pour point de départ des négociations. La Prusse se place en dehors du corps germanique de 1815 pour se conserver le droit et la chance de le refaire à nouveau ; l’Autriche, même en consentant à le modifier, ne veut point lui ôter ses origines que la Prusse repousse ; ce sont ces clauses primitives de 1815 qui font l’avantage de l’Autriche sur la Prusse. Tout le dualisme est là ; telle est la difficulté que les négociateurs de Dresde ont maintenant devant eux.

S’il suffisait pour la trancher d’agir avec quelque vigueur sur les imaginations très vulnérables de la cour de Potsdam, il se pourrait peut-être que l’Autriche en vînt assez promptement à ses fins. Si le maintien du dualisme ne dépendait que d’un caprice de prince ou d’un rêve de savant ; l’Autriche aurait peut-être bientôt trouvé moyen d’effacer du sein de l’Allemagne cette contradiction perpétuelle à laquelle se heurtent ses projets d’ordre public et de pacification générale. Ce tiraillement qui divise l’Allemagne cesserait alors sous l’empire régulier d’une influence unique et prépondérante. Mais l’orgueil prussien, les fantaisies, les ambitions prussiennes ont été cruellement rabaissées, et le dualisme est encore debout : c’est qu’il a sa raison d’être dans des causes plus profondes. Le pacte de 1815 avait à grand’peine amené une transaction entre des puissances depuis si long-temps jalouses l’une de l’autre. Le compromis a été rompu par les événemens de 1848, et chacune des deux parties s’est à son tour exagéré le bénéfice qu’elle pourrait tirer de la rupture ; chacun a manifesté des exigences trop exclusives pour se détacher ensuite aisément de la position qu’elle s’est ainsi faite. La Prusse voulait se donner tout entière à l’Allemagne, c’est-à-dire l’absorber en ayant l’air de s’y fondre ; elle le veut encore aujourd’hui, puisqu’elle ne cède rien sur le principe de sa charte du 26 mai, l’instrument malencontreux de ses beaux projets de fusion. L’Autriche, de son côté, persiste à réclamer une place dans la confédération pour ses états non allemands que le pacte de 1815 n’y a pas compris. Si elle ne prétend pas absorber l’Allemagne comme la Prusse, elle prétend tout au moins l’envahir. Sur quelle base transiger, quand on a de part et d’autre affiché des ambitions si extrêmes ?

D’ailleurs les états secondaires, également menacés par ces ambitions, soit que l’une triomphe, soit qu’elles sachent se concerter, ces états, toujours inquiets au sujet de leur autonomie, sont intéressés de toute manière à empêcher autant qu’il est en eux les deux grandes puissances de s’accorder au détriment du reste de l’Allemagne. Ils n’y peuvent pas sans doute beaucoup par leurs propres forces, mais les appoints ont une notable valeur dans les luttes politiques. C’est en servant à propos d’appoints à l’Autriche que les petits états ont le plus sûrement contrarié les plans d’hégémonie absolue médités par la Prusse. S’ils savent user de leur position intermédiaire pour se porter suivant