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besoin d’alarmes qu’ils éprouvaient. Il n’y a pas de sentiment plus contagieux que l’inquiétude, et elle s’accroît à mesure qu’elle se communique. Allais aura dépassé M. Yon, comme M. Yon avait sans doute dépassé M. Dupin. Nous sommes presque convaincus que M. Yon croyait beaucoup plus que M. Dupin lui-même à la réalité du complot dirigé contre l’honorable président, parce qu’à ses propres yeux, il grandissait d’autant plus en qualité qu’il devenait plus évidemment le sauveur d’une existence si précieuse. M. Dupin, moins effrayé certainement pour la conservation de ses jours que ne l’était M. Yon, ne veut pas souffrir qu’un si fidèle agent porte aujourd’hui la peine de lui avoir témoigné trop de sollicitude. Le président de l’assemblée nationale a tout le droit possible de marquer, dans chacun de ses actes, l’originalité vigoureuse qui caractérise sa physionomie ; cette originalité comporte des boutades de tous les genres. M. Yon est aujourd’hui le favori d’une de ces boutades, comme il en pourrait être demain la victime. M. Dupin veut que sa propre dignité, que celle de l’assemblée soit intéressée à couvrir un homme qui ne l’a lui-même, hélas ! que trop couvert ; il a été très irrité des apostrophes que le tribunal et le parquet n’ont pas ménagées à M. Yon ; M. Dupin, en un mot, défend, dans cette occasion, les privilèges de l’assemblée avec le privilège de son humeur. Il n’y a qu’un tort dans cette vive défense, c’est qu’elle n’était pas nécessaire, parce qu’il n’y avait point d’attaque. Chargé de la direction générale de la police, le ministre de l’intérieur devait à sa responsabilité de demander au bureau de l’assemblée le changement d’un fonctionnaire qui, n’étant pas sous sa dépendance immédiate, ne lui paraissait pas cependant au niveau de son rôle. Le bureau se trouve bien servi ; évidemment le gouvernement n’a plus rien à y voir.

Ce n’est pas sous ce jour si simple que l’on a considéré l’affaire dans l’émotion factice où l’on s’était tout d’un coup précipité ; fascinée par je ne sais quel désagréable mirage, toute une partie de l’assemblée s’est persuadée qu’elle revoyait en perspective des temps orageux, qu’on avait laissés derrière soi depuis le 11 novembre. Cette erreur d’optique a été industrieusement exploitée par les chevaliers de la politique du pessimisme, qui croient plus sûr et plus court, pour tout sauver, de commencer par brouiller tout. Bref, on s’est cru en état de guerre, et l’on en a soi-même donné le signal par l’animation avec laquelle on a transformé tous les incidens en combat. Ici se place l’épisode de l’arrestation de M. Mauguin, venu précisément à la veille du jour où le bureau de l’assemblée devait délibérer sur le sort de M. Yon. Il est incontestable qu’il y aura eu des parlementaires zélés qui auront reporté sur M. Mauguin beaucoup du même intérêt qu’ils prenaient à M. Yon, et l’honorable représentant de la Côte-d’Or, chagriné par un créancier qu’il avait trop impatienté, a failli cependant compter aussi pour un martyr du pouvoir exécutif. La passion transfigure tout ce qu’elle touche.

La passion était si bien de la partie, qu’on a procédé dans une pure question de droit avec toute l’âpreté politique. La question prêtait à la controverse, et nous croyons, quant à nous, qu’il ne faut pas atténuer, pour quelque considération que ce soit, l’inviolabilité des représentans du pays ; c’est bien le moins que l’idée d’inviolabilité reste attachée là. Ce principe de l’inviolabilité domine les objections, d’ailleurs très graves, que le ministre de la justice avait cru devoir formuler dans un sens contraire à la résolution qu’a prise la majorité.